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POLYBE, LIV. IV.

tentent d’escalader les murailles. Les Clitoriens se défendirent et les repoussèrent avec tant de valeur, qu’ils furent obligés de lever le siége et de faire retraite. En revenant vers Cynèthe, ils amenèrent avec eux les troupeaux sacrés de Diane. Ils auraient bien voulu livrer cette ville aux Éléens ; mais ceux‑ci n’ayant pas voulu l’accepter, ils prirent dessein de la garder pour eux‑mêmes, et en donnèrent le commandement à Euripide. Ensuite, sur l’avis qu’ils reçurent qu’il venait des troupes de Macédoine au secours de cette ville, ils y mirent le feu et se retirèrent. De là ils vinrent une seconde fois à Rios pour s’embarquer et retourner dans leur pays.

Taurion, qui avait appris l’invasion des Étoliens et ce qu’ils avaient fait à Cynèthe, voyant que Demetrius de Pharos, parti des îles Cyclades, était débarqué à Cenchrée, pria ce prince de secourir les Achéens, de transporter par l’isthme ses frégates, et de tomber sur les Étoliens. Demetrius alors avait fait un riche butin dans les Cyclades, mais il en fuyait honteusement, poursuivi par les Rhodiens. Il écouta d’autant plus volontiers la proposition, que Taurion se chargeait de faire les frais du transport des frégates. Il passa dont l’isthme, mais il était parti deux jours trop tard pour rejoindre les Étoliens. Il se contenta de piller quelques endroits de leur côte, et cingla vers Corinthe.

On ne tira pas non plus grands secours des Lacédémoniens, quoiqu’il eussent reçu ordre d’en envoyer. Il vint de ce pays‑là quelque cavalerie et quelques hommes de pied, seulement pour qu’on ne dît pas qu’ils avaient refusé le secours qu’on leur avait demandé. Aratus avec ses Achéens se conduisit aussi dans cette occasion plus en politique qu’en capitaine. Il se tint tranquille. Le souvenir de l’échec qu’il avait reçu le retint, il donna à Dorimaque et à Scopas tout le loisir de faire tout ce qu’ils jugeraient à propos, et de retourner chez eux. Cependant ils opérèrent leur retraite par des endroits où il lui eût été fort aisé de les charger. C’était des défilés où un trompette aurait suffi pour remporter la victoire.

Mais quelques mauvais traitemens que les Cynéthéens eussent soufferts, on ne les plaignait pas : c’était le peuple du monde qui méritait le plus d’être maltraité. Ce sont cependant des Arcadiens, peuple célèbre dans toute la Grèce par son amour pour la vertu, par la régularité de ses mœurs, par son zèle pour l’hospitalité, par sa douceur et sa politesse, et surtout par son respect envers les dieux. Pourquoi donc les Cynéthéens, Arcadiens eux‑mêmes, surpassaient‑ils alors tous les autres Grecs en cruauté et en impiété ? C’est ce qu’il sera bon d’éclaircir en peu de mots.

Pour moi, je suis persuadé que c’est parce que les Cynéthéens sont les premiers et les seuls d’Arcadie qui aient abandonné ce que les anciens, sages et éclairés sur ce qui convenait à la paix de leur pays, avaient prudemment établi, savoir : l’exercice de la belle musique, qui n’est qu’utile aux autres hommes, mais qui est absolument nécessaire aux Arcadiens ; car je ne reconnais point Éphore, et cet auteur s’oublie lui‑même lorsqu’il dit, au commencement de son ouvrage, que la musique n’a été inventée que pour tromper les hommes et leur faire illusion. Il ne faut pas croire que les anciens Crétois et Lacédémoniens aient pris sans raison, pour animer leurs soldats à la guerre, la flûte et des airs au lieu d’une trompette, ni que les