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POLYBE, LIV. IV.

premiers Arcadiens si austères du reste dans leurs mœurs, aient eu tort de croire la musique nécessaire à leur république. Cependant ils en étaient si persuadés, qu’ils voulurent non-seulement que les enfans la suçassent pour ainsi dire avec le lait, mais encore que les jeunes gens y fussent exercés jusqu’à l’âge de trente ans ; car tout le monde sait que ce n’est presque que chez les Arcadiens que l’on entend les enfans chanter des hymnes en l’honneur des dieux et des héros de leur patrie, et qu’ils y sont obligés par les lois. Ce n’est aussi que chez eux que l’on apprend les airs de Philoxène et de Timothée, qu’en plein théâtre, chaque année, aux fêtes de Bacchus, on danse au son des flûtes, et que l’on s’exerce à des combats chacun selon son âge, les enfans à des combats d’enfans, les jeunes gens à des combats d’hommes. Ils croient pouvoir sans honte ignorer toutes les autres sciences ; mais ils ne peuvent ni refuser d’apprendre à chanter, parce que les lois les y obligent, ni s’en défendre sous prétexte de le savoir, parce qu’ils croiraient par là se déshonorer. Ces petits combats donnés chaque année au son des flûtes, selon les règles de la guerre, et ces danses faites aux dépens du public, ont encore une autre utilité ; c’est que par là les jeunes gens font connaître à leurs concitoyens de quoi ils sont capables.

Je ne puis me persuader que nos pères par cette institution, n’aient eu en vue que l’amusement et le plaisir des Arcadiens ; c’est parce qu’ils avaient étudié leur naturel, et qu’ils voyaient que leur vie dure et laborieuse avait besoin d’être adoucie par quelque exercice agréable. L’austérité des mœurs de ce peuple en fut encore une autre raison, défaut qui lui vient de l’air froid et triste qu’il respire dans la plupart des endroits de cette province ; car nos inclinations, pour l’ordinaire, sont conformes à l’air qui nous environne. C’est de là qu’on voit dans les nations différentes et éloignées les unes des autres une si grande variété non-seulement de coutumes, de visages et de couleurs, mais encore d’inclinations. Ce fut donc pour adoucir et tempérer la dureté et la férocité des Arcadiens, qu’ils introduisirent les chansons et les danses, et qu’ils établirent outre cela des assemblées et des sacrifices publics tant pour les hommes que pour les femmes, et des chœurs d’enfans de l’un et de l’autre sexe. En un mot, ils mirent tout en œuvre pour cultiver les mœurs et humaniser le caractère intraitable de leurs concitoyens.

Les Cynéthéens avaient plus besoin que personne de ce secours ; l’air qu’ils respirent et le terrain qu’ils occupent sont les plus désagréables de toute l’Arcadie. Pour avoir négligé cet art, ils passèrent bientôt des querelles et des contestations à une si grande férocité, qu’il n’y a point de canton dans la Grèce où il se soit commis des désordres plus grands et plus continuels. Enfin ils étaient devenus si odieux au reste de l’Arcadie, qu’après le carnage que nous avons rapporté, lorsqu’ils envoyèrent des députés à Lacédémone, dans toutes les villes d’Arcadie où ceux‑ci passèrent, on leur fit aussitôt dire par un héraut qu’ils se retirassent. On fit plus à Mantinée ; car, dès qu’ils furent sortis, les habitans se purifièrent, et, portant des victimes, firent des processions autour de la ville et du territoire.

Tout ceci soit dit pour justifier les mœurs et les usages des Arcadiens, pour faire voir à ce peuple que ce n’est pas sans raison que l’exercice de la musique y a été établi, et pour les porter à ne jamais le négliger. Je sou-