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POLYBE, LIV. IV.

guerre, ils firent réponse aux députés, qu’ils n’entreraient point dans cette guerre que la ville de Phigalée, qui était sur leurs frontières, n’eût été enlevée aux Étoliens, dont elle dépendait. Ce furent Oénis et Nicippus, éphores des Messéniens, et quelques autres qui tenaient pour l’oligarchie, qui firent prendre ce parti au peuple, malgré toute la répugnance qu’il y avait. Il s’en fallait beaucoup, au moins selon moi, que ce fût le meilleur qu’il y eût à prendre. Il est vrai que la guerre est un grand mal ; mais elle n’est pas si à craindre qu’on doive plutôt tout souffrir que de l’avoir. Si rien n’est préférable à la paix, pourquoi donc faisons‑nous tant valoir le droit d’égalité, la liberté de dire ce que nous pensons, et le nom de liberté ? Louons‑nous les Thébains de s’être soustraits aux guerres qu’il fallait soutenir contre les Mèdes pour le salut de toute la Grèce, et d’avoir craint les Perses jusqu’à se soumettre à leur domination ? Pindare, d’accord avec les Thébains, conseille, pour maintenir la tranquillité publique, de chercher la brillante lumière du repos. Voilà de grands mots, mais qui n’expriment, comme on eut lieu de le reconnaître peu de temps après, qu’une maxime honteuse, et qui fut très-funeste à la patrie de ce poète. Rien n’est plus estimable que la paix, quand elle ne blesse en rien nos droits ni notre honneur ; si elle nous déshonore et nous réduit en servitude, rien n’est plus infamant et plus préjudiciable.

Mais la faction de ceux qui parmi les Messéniens étaient pour l’oligarchie, ne faisant attention qu’à ses intérêts particuliers, recherchait toujours la paix avec trop d’empressement. Il est vrai que, par là, ils se sont souvent épargné de mauvaises affaires, et ont évité beaucoup de dangers ; mais enfin ce penchant pour la paix fut porté si loin qu’il mit leur patrie à deux doigts de sa perte. La raison en est, à ce qu’il me semble, que les Messéniens ont pour voisins les deux peuples les plus puissans du Péloponnèse, j’ose dire même de toute la Grèce, savoir : les Arcadiens et les Lacédémoniens, et qu’ils n’ont pas gardé à leur égard la conduite qu’il convenait de garder. Depuis leur établissement dans la Messénie, les Lacédémoniens avaient contre eux une haine irréconciliable, sans que l’honneur leur inspirât rien pour se venger noblement de cette haine. Les Arcadiens, au contraire, les aimaient et les protégeaient, et cette amitié qu’il fallait cultiver, ils la négligeaient. Tant que ces deux voisins se faisaient la guerre l’un à l’autre, ou l’allaient faire ailleurs, les Messéniens tranquilles jouissaient d’une paix profonde et des commodités que le pays leur fournissait ; mais dès que les Lacédémoniens, de retour chez eux, n’avaient plus rien à faire, ils ne songeaient qu’à leur nuire et qu’à les inquiéter ; et comme les Messéniens n’étaient pas en état de s’opposer à une puissance si formidable, et qu’ils ne s’étaient pas auparavant ménagé des amis capables de tout entreprendre pour les secourir, ils étaient contraints ou de leur rendre les services les plus bas, ou, s’ils ne pouvaient se résoudre à la servitude, d’abandonner leur patrie et de fuir au loin avec leurs femmes et leurs enfans. C’est ce qui leur est arrivé bien des fois, et encore depuis assez peu de temps.

Fassent les dieux que les Péloponnésiens s’affermissent tellement dans l’état où ils sont maintenant, que jamais ils n’aient besoin de l’avis que je vais leur donner ; mais, s’il arrive qu’ils soient menacés de quelque révolution, je ne vois pour les Messéniens et pour les Mégalopolitains qu’une seule voie