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POLYBE, LIV. IV.

vers les Étoliens pour en faire venir un député. Ceux‑ci écoutèrent avec plaisir les propositions des Lacédémoniens, et leur envoyèrent Machatas avec quelques autres. Ce député se présenta aux éphores, qui demandèrent que l’on fît parler Machatas dans une assemblée du peuple, que l’on créât des rois selon l’ancien usage, et que l’on ne souffrît point que, contre les lois, l’empire des Héraclides fût anéanti. Les éphores ne goûtaient point du tout ces demandes ; mais, ne pouvant résister à l’empressement que l’on témoignait, et craignant que les jeunes gens ne causassent quelque tumulte, ils dirent, sur l’article des rois, qu’on en délibérerait, et accordèrent une assemblée à Machatas.

Le peuple s’assemble, Machatas fait une longue harangue, où, pour engager les Lacédémoniens à se joindre avec les Étoliens, il eut l’impudence de charger les Macédoniens de cent crimes imaginaires, et de donner aux Étoliens des louanges qu’ils n’avaient jamais méritées. Quand il se fut retiré, le conseil se trouva très-embarrassé. Quelques‑uns opinaient en faveur des Étoliens, et souhaitaient qu’on fît alliance avec eux ; quelques autres étaient d’un avis contraire. Mais quelques anciens ayant représenté au peuple les bienfaits qu’il avait reçus d’Antigonus et des Macédoniens, et les maux au contraire que leur avaient causés Charixène et Timée, lorsque les Étoliens, fondant en grand nombre et à main armée sur leurs terres, les avaient ravagées, en avaient mis dans les fers les habitans, et s’étaient voulu emparer de Sparte par fraude et par violence, en se servant pour cela du ministère des exilés, le peuple changea aussitôt de sentiment, et se laissa enfin persuader de demeurer fidèle à Philippe et aux Macédoniens, ce qui fit que Machatas reprit le chemin de son pays sans avoir rien fait.

Cette résolution déplut infiniment à ceux qui d’abord avaient été la cause de tous les troubles. Pour la rendre inutile, ils gagnèrent quelques jeunes gens, et imaginèrent l’expédient du monde le plus impie. C’était alors le temps où il se devait faire je ne sais quel sacrifice à Minerve, et pour cela il fallait que la jeunesse en âge de porter les armes accompagnât la victime au temple de cette déesse, et que les éphores fissent eux‑mêmes la cérémonie dans ce temple. Quand l’heure du sacrifice fut venue, quelques jeunes soldats se jetèrent tout d’un coup sur les éphores et les massacrèrent. Ainsi ce temple, qui jusque là avait été un asile pour ceux qui s’y réfugiaient, quand même ils eussent été condamnés à la mort, fut alors tellement méprisé et profané, que l’on y vit couler le sang de tous les éphores autour de l’autel et de la table sacrée. On égorgea de même Gyridas et quelques vieillards ; on mit en fuite tous ceux qui étaient opposés aux Étoliens, on choisit parmi eux des éphores, et on conclut l’alliance avec ce peuple.

Ce qui porta les Lacédémoniens à de si grands excès, fut la haine qu’ils avaient pour les Achéens, leur ingratitude à l’égard des Macédoniens, leur inconsidération à l’égard de tout le monde. Leur amitié pour Cléomène n’y eut pas moins de part, car ils espéraient toujours que ce prince s’échapperait et reviendrait chez eux. Ce qui fait voir que quand on a su se bien mettre dans l’esprit des hommes, on a beau être absent, l’inclination qu’ils ont conçue pour vous ne s’éteint jamais, et n’attend au contraire que le moment de s’enflammer. Il y avait déjà trois ans, depuis la fuite de Cléomène, que les Lacédémoniens, rentrés dans le