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POLYBE, LIV. V.

coupables sont punis comme ils le méritent ; mais tous les endroits consacrés aux dieux sont épargnés et respectés, bien que ce fût contre ce endroits-là même que les Perses s’étaient le plus acharnés dans la Grèce. Il eût été à souhaiter que Philippe, toujours attentif à ces grands exemples, eût eu plus à cœur de paraître avoir succédé à une modération si sage qu’à la couronne. Il avait grand soin que l’on sût que le sang d’Alexandre et de Philippe coulait dans ses veines ; mais se montrer l’imitateur de leurs vertus, c’est à quoi il pensait le moins. Aussi, dans un âge plus avancé, sa réputation fut-elle aussi différente de la leur, que sa manière de régner l’avait été. Cette différence de conduite est sensible dans ces événemens. Pendant qu’il s’emporte aux mêmes excès que ceux qu’il punit dans les Étoliens, et qu’il remédie à un mal par un autre, il croit ne rien faire que de juste : partout il décrie Scopas et Dorimaque comme des sacriléges, pour les attentats qu’ils avaient commis à Dios et à Dodone contre la divinité, et, quoiqu’il soit aussi criminel qu’eux, il ne peut s’imaginer qu’on le mettra au rang de l’un et de l’autre. Cependant les lois de la guerre y sont formelles, elles obligent souvent de renverser les citadelles et les villes, de combler les ports, de prendre les hommes et les vaisseaux, d’enlever les moissons et autres biens de ce genre, pour diminuer les forces des ennemis et augmenter les nôtres ; mais détruire ce qui, eu égard à la guerre que nous faisons, ne nous procure aucun avantage, ou n’avance pas la défaite des ennemis, brûler des temples, briser des statues et autres pareils ornemens d’une ville, il n’y a qu’un homme furieux et hors de lui-même qui soit capable d’un tel emportement. Ce n’est pas pour perdre et ruiner ceux qui nous ont fait tort, que l’on doit leur déclarer la guerre, si l’on est équitable : c’est pour les contraindre à réparer leurs fautes ; le but de la guerre n’est pas d’envelopper dans la même ruine les innocens et les coupables, mais plutôt de sauver les uns et les autres. Il n’appartient qu’à un tyran de mériter par ses mauvaises actions et par la haine qu’il a pour ses sujets, d’en être haï, et de n’avoir de leur part qu’une obéissance forcée ; mais il est d’un roi de faire en sorte par la sagesse de sa conduite, par ses bienfaits et par sa douceur, que son peuple le chérisse et se fasse un plaisir d’obéir à ses lois.

Pour bien juger de la faute que fit alors le roi de Macédoine, on n’a qu’à se représenter quelle idée les Étoliens se fussent formée de ce prince, s’il eût tenu une route tout opposée, et qu’il n’eût ni brûlé les galeries, ni brisé les statues, ni profané les autres ornemens du temple. Pour moi, je m’imagine qu’ils l’eussent rangé au nombre des princes les plus accomplis. Leur conscience les y aurait portés par les reproches qu’elle leur aurait faits des sacriléges commis à Dios et à Dodone ; et comme d’ailleurs ils auraient senti que, quand même Philippe, maître alors de faire ce qu’il lui aurait plu, les eût traités avec la dernière rigueur, il ne leur aurait que rendu justice, ils n’auraient pas manqué de louer sa générosité et son grand cœur. En se condamnant eux-mêmes, ils auraient admiré et le respect que le roi eût témoigné pour la divinité, et la force d’âme avec laquelle il eût commandé à sa colère. En effet, il y a, sans comparaison, plus d’avantages à vaincre par la générosité et par la justice que par les armes : on se soumet à celles-ci par nécessité, à celles-là par inclination ; il