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POLYBE, LIV. V.

Il y avait long-temps que Philippe était informé de cette conduite, et qu’il la supportait avec peine, et Aratus de son côté le pressait d’y mettre ordre ; mais le roi dissimulait sans faire connaître à personne de quel côté il penchait, et à quoi il se déterminerait. Apelles, qui ne savait rien de ce qui se préparait contre lui, persuadé au contraire qu’il ne paraîtrait pas plus tôt devant le roi, qu’on le consulterait sur tout, accourut de la Chalcide au secours de Léontius. Quand il arriva à Corinthe, Léontius, Ptolémée et Mégaléas, qui commandaient les proviseurs et les corps les plus distingués, engagèrent la jeunesse à aller au devant de lui. Apelles, accompagné d’une nombreuse escorte d’officiers et de soldats, vint d’abord descendre au logis du roi, où il prétendait entrer comme autrefois ; mais un licteur qui avait le mot l’arrête brusquement, en lui disant que le roi était occupé. Étonné d’une réception si extraordinaire, il délibère long-temps sur le parti qu’il avait à prendre, et enfin se retire tout confus. Le brillant cortége dont il s’était fait suivre se dissipa sur-le-champ, et il ne fut suivi jusqu’à son logis que de ses seuls domestiques. C’est ainsi qu’ordinairement, et surtout dans les cours des rois, la fortune se joue des hommes : il ne faut que peu de jours pour voir tout ensemble et leur élévation et leur chute. Selon qu’il plaît au prince de leur être contraire ou favorable, aujourd’hui ils sont heureux, demain ils seront dignes de compassion ; semblables à des jetons, qui d’un moment à l’autre passent de la plus petite à la plus grande valeur, au gré de celui qui calcule. Cette disgrâce d’Apelles fit trembler Mégaléas, qui ne pensa plus qu’à se mettre à l’abri, par la fuite, du péril dont il était lui-même menacé. Le roi ne laissa pas que de s’entretenir quelquefois avec Apelles, et de lui laisser quelques autres honneurs semblables ; mais il l’exclut du conseil et du nombre de ceux qu’il invitait à souper avec lui. Il le prit encore avec lui lorsqu’il partit de Léchée, pour terminer certaines affaires dans la Phocide ; mais comme les choses n’y tournaient pas comme il l’aurait désiré, il revint bientôt d’Élatée à Corinthe. Pour dire encore un mot de Mégaléas, laissant Léontius engagé pour vingt talents dont il avait répondu pour ses complices, il s’enfuit à Athènes, où, les officiers de l’armée refusant de le recevoir, il prit le parti de retourner à Thèbes.




CHAPITRE VII.


Les conjurés sont punis. — Le roi continue la guerre contre les Étoliens.


De Cirrha le roi mit à la voile avec sa garde, et alla prendre terre au port de Sicyone. Les magistrats lui offrirent un logement, mais il préféra celui d’Aratus, qu’il ne quittait point, et donna ordre à Apelles de s’en aller à Corinthe. Ce fut à Sicyone que Philippe, ayant appris que Mégaléas avait prit la fuite, chargea Taurion du commandement des rondachers, que commandait Léontius, et l’envoya en Triphylie, comme s’il y eût eu là quelque affaire pressante ; et dès qu’il fut parti, il fit mettre Léontius en prison pour le paiement des vingt talens dont il s’était fait garant. Léontius fit savoir cette nouvelle à l’infanterie, dont il avait été le chef, qui aussitôt envoya une députation au roi pour le prier qu’au cas où l’on chargerait Léontius de quelque nouvelle accusation qui eût mérité qu’on le mît en prison, il ne décidât rien qu’elle ne fût présente :