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POLYBE, LIV. V.

vases à mettre de l’eau ; dix talens pour les frais des sacrifices, dix autres pour faire venir de nouveaux citoyens ; en sorte que la somme entière montait à près de cent talens. Outre cela, ils exemptèrent d’impôts ceux qui naviguaient à Rhodes, et leur envoyèrent cinquante catapultes de trois coudées. Enfin, après avoir tant donné, comme s’ils eussent été encore redevables aux Rhodiens, ils firent élever deux statues dans leur place publique, dont l’une représentait le peuple de Rhodes, et l’autre le peuple de Syracuse qui lui mettait une couronne sur la tête.

Ptolémée leur fournit aussi trois cents talens d’argent, un million de mesures de blé, du bois pour bâtir dix vaisseaux à cinq rangs de rames, et dix à trois rangs ; quatre mille poutres proportionnées du bois d’où découle la résine, mille talens de monnaie d’airain, trois mille livres pesant d’étoupe, trois mille voiles et trois mille mâts, trois mille talens pour relever le colosse, cent architectes, trois cent cinquante manœuvres et quatorze talens par an pour leur nourriture, douze mille mesures de blé pour les jeux et les sacrifices, et vingt mille pour la subsistance de dix vaisseaux à trois rangs. La plupart de ces choses furent données sur-le-champ, ainsi que le tiers de tout l’argent.

Antiochus, de son côté, leur fit présent de dix mille poutres, depuis seize coudées jusqu’à huit, pour faire des coins ; sept mille de sept coudées, trois mille talens de fer, mille talens de résine, mille mesures de poix liquide, et il leur promit outre cela cent talens d’argent. Chryséis, sa femme, donna cent mille mesures de blé et trois mille talens de plomb.

Seleucus, père d’Antiochus, ne se contenta pas de ne point lever d’impôts sur ceux qui naviguaient à Rhodes, ni de leur donner dix vaisseaux à cinq rangs de rames, avec tout leur équipage, et deux cent mille mesures de blé, il leur donna encore dix mille coudées de bois et mille talens de résine et de crin.

Ils reçurent à peu près les mêmes libéralités de Prusias, de Mithridate, de toutes les puissances qui étaient alors dans l’Asie, de Lysanias, d’Olympique, de Limnée. Il serait difficile d’énumérer les villes qu’ils engagèrent à les secourir. Quand on considère le temps où la ville de Rhodes a commencé à être habitée, on est surpris de ses progrès, des richesses des citoyens, des richesses de la ville en général ; mais, si on fait réflexion sur sa situation heureuse, sur l’abondance des biens que les étrangers y apportent, sur la réunion de toutes les commodités qu’on y rencontre, loin de s’étonner, on trouve que cette ville est encore moins puissante qu’elle ne devrait être.

Au reste, si je suis entré dans de si grands détails, c’est premièrement pour faire connaître quel fut le zèle des Rhodiens pour relever leur république, zèle qu’on ne peut ni trop louer, ni trop imiter ; c’est, en second lieu, pour opposer les libéralités des rois précédens à l’esprit mesquin de ceux d’aujourd’hui, dont les villes et les nations reçoivent si peu. Peut-être que ces rois, après de si grands exemples de générosité, auront honte de faire tant valoir quatre ou cinq talens qu’ils auront donnés, et d’exiger des Grecs, pour un si maigre présent, autant de reconnaissante et d’honneur qu’on en accordait à leurs prédécesseurs. Peut-être aussi que les villes, ayant devant les yeux les dons immenses qu’on leur faisait autrefois, ne s’aviliront pas jusqu’à rendre, pour des libéralités si méprisables, des honneurs