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POLYBE, LIV. V.


CHAPITRE XVIII.


Trève entre les deux rois. — Largesses des puissances en faveur des Rhodiens.


Antiochus, après avoir fait enterrer ses morts, prit la route de son royaume. Pour Ptolémée, il entra dans Raphie, et prit d’emblée toutes les autres villes. C’était à qui reprendrait son parti et augmenterait sa domination. C’est assez l’ordinaire des hommes dans ces sortes de révolutions, de s’accommoder au temps ; mais il n’y a pas de peuples qui soient plus naturellement portés à cette politique que ceux de la basse Syrie. Je crois aussi que ce fut alors un effet de l’affection qu’avaient auparavant ces peuples pour les rois d’Égypte ; car de tout temps ils ont eu pour cette maison une très-grande vénération. Aussi firent-ils à Ptolémée des honneurs infinis : couronnes, sacrifices, autels, rien ne fût négligé.

Aussitôt qu’Antiochus fut arrivé à la ville qui porte son nom, il envoya Antipater son neveu, et Théodice, Hémiolien, à Ptolémée pour traiter de la paix. Depuis la perte de la bataille, il ne croyait pas devoir compter sur la fidélité des peuples, et d’ailleurs il craignait qu’Achéus ne profitât de cette occasion contre lui. Rien de tout cela ne vint dans l’esprit de Ptolémée. Charmé des avantages qu’il venait de remporter et de sa conquête de la Cœlo-Syrie, entraîné de plus par l’habitude qu’il s’était faite d’une vie molle et voluptueuse, loin de renoncer au repos, il n’avait que trop d’inclination pour s’y livrer. Il fit d’abord quelques menaces et quelques plaintes aux ambassadeurs, de la manière dont Antiochus l’avait traité : mais il consentit à une trève d’un an, et envoya Sosibe à Antioche, pour y faire ratifier le traité. Après avoir ensuite passé trois mois dans différens endroits de la Syrie et de la Phénicie, s’y être assuré des villes, et y avoir établi Andromaque pour gouverneur, il reprit avec sa sœur et ses favoris le chemin d’Alexandrie, où chacun, connaissant le genre de vie qu’avait mené ce prince jusqu’alors, fut fort surpris de la manière dont il avait terminé cette guerre. Le traité conclu avec Sosibe, Antiochus revint à son premier projet, et se disposa à la guerre contre Achéus.

Vers le même temps, un tremblement de terre ayant renversé le colosse des Rhodiens, les murs de la ville, du moins pour la plus grande partie, et la plupart des arsenaux, ce peuple mit à profit cet accident avec tant d’adresse et de prudence, que, bien loin d’en avoir souffert, cela ne servit qu’à augmenter et à embellir leur ville. On voit par là combien la vigilance et la prudence l’emportent, parmi les hommes, sur la négligence et la mauvaise conduite. Avec ces deux défauts, les événemens même heureux sont funestes. A-t-on les deux vertus opposées, on tire parti des malheurs mêmes. Les Rhodiens dépeignant avec des coureurs très-sombres l’accident qui leur était arrivé, et soit dans les instructions qu’ils donnaient à leurs ambassadeurs, soit dans les conversations particulières, faisant toujours leurs plaintes, avec beaucoup de noblesse et de zèle, pour leur république, ils touchèrent tellement les villes, et principalement les rois en leur faveur, que non-seulement on leur fit de grands présens, mais qu’on leur avait encore obligation quand ils les recevaient.

Hiéron et Celon leur donnèrent soixante-quinze talens d’argent, en partie comptant, en partie payables peu après, pour l’huile des athlètes, des cassolettes d’argent avec leurs bases, des