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POLYBE, LIV. V.

eurent élu pour consuls A. Terentius et Luc. Émilius.

Pendant le quartier d’hiver, Philippe fit réflexion qu’il avait besoin de vaisseaux et de matelots pour ses desseins, Ce n’est pas qu’il espérât vaincre les Romains par mer, mais parce que par mer il transporterait plus aisément les soldats, arriverait beaucoup plus tôt où il s’était proposé, et tomberait sur les Romains lorsqu’ils s’y attendraient le moins. Rien ne lui parut plus propre pour cela que les vaisseaux d’Illyrie, et il fut, je pense, le premier roi de Macédoine qui en fit construire jusqu’à cent. Après les avoir fait équiper, il assembla ses troupes au commencement de l’été, exerça quelque temps les Macédoniens à ramer, se mit en mer, vers le temps à peu près qu’Antiochus passait le mont Taurus. Ayant fait voile par l’Euripe et tourné vers Mélée, il vint mouiller autour de Céphalénie et de Leucade, et demeura là pour y observer la flotte des Romains. Sur l’avis qu’il reçut ensuite, qu’il y avait à Lilybée des vaisseaux à l’ancre, il s’avança hardiment du côté d’Apollonie. Quand il fut dans le pays qu’arrose l’Aoüs, une terreur panique, semblable à celle qui prend quelquefois aux armées de terre, s’empare de ses troupes. Quelques vaisseaux qui étaient à la queue, ayant pris terre dans l’île de Sason, à l’entrée de le mer Ionienne, vinrent, de nuit, dire à Philippe que plusieurs vaisseaux, venant du détroit, avaient abordé avec eux au même port, et leur avaient donné avis qu’ils avaient laissé à Rhège des vaisseaux romains qui allaient à Apollonie pour porter du secours à Scerdilaïdas. Philippe crut que toute une flotte allait fondre sur lui. La frayeur le saisit ; il fit lever les ancres, et reprendre la route par où il était venu. On marcha une nuit et un jour, sans ordre et sans s’arrêter, et, à la seconde journée, on aborda à Céphalénie, où le roi fit courir le bruit qu’il n’était revenu que pour régler quelques affaires dans le Péloponnèse.

Sa crainte était très-mal fondée. Il est vrai que Scerdilaïdas, ayant appris, pendant l’hiver, que Philippe faisait construire quantité de vaisseaux, en attendant qu’il arrivât par mer, avait dépêché vers les Romains pour les en avertir et pour demander du secours, et que les Romains lui avaient envoyé dix vaisseaux de la flotte qui était à Lilybée, et qui étaient les mêmes qu’on avait vus à Rhège. Mais si Philippe n’eût pas pris inconsidérément la fuite, c’était là la plus belle occasion du monde pour se rendre maître de l’Illyrie. Les Romains étaient alors si occupés d’Annibal et de la bataille de Cannes, qu’il aurait été facile de prendre les dix vaisseaux ; mais il se laissa épouvanter, et se retira honteusement en Macédoine.

Vers ce même temps, Prusias fit un exploit mémorable. Les Gaulois qu’Attalus avait tirés d’Europe pour faire la guerre à Achéus, sur la réputation qu’ils avaient de braves et de vaillants soldats ; ces Gaulois, dis-je, ayant quitté ce roi pour les raisons que nous avons rapportées, et ayant fait des ravages horribles dans les villes de l’Hellespont et assiégé les Illiens, les Alexandrins les défirent courageusement dans la Troade. Thémistas, à la tête de quatre mille hommes, leur fit lever le siége d’Illium, leur coupa les vivres, renversa tous leurs projets, et les chassa enfin de toute la Troade. Les Gaulois se jetèrent dans l’Arisbe, ville de l’Abydène, et se disposèrent à entrer de force dans les villes du pays ; Prusias vint à eux et leur livra bataille. Tout