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POLYBE, LIV. VI.

ronde aussitôt produit les témoins qu’elle a pris ; car elle est obligée à cela, ou elle porte seule toute la faute. On assemble ensuite le conseil de guerre : le tribun juge, et le coupable est bâtonné.

Or, la bastonnade se donne ainsi : le tribun, prenant un bâton, ne fait qu’en toucher le criminel, et aussitôt après tous les légionnaires fondent sur lui à coup de bâtons et de pierres, en sorte que le plus souvent il perd la vie dans ce supplice. Si quelqu’un en échappe, il n’est pas pour cela sauvé. En vain il retournerait dans sa patrie : ce retour lui est interdit, et personne de ses parens ou amis n’oserait lui ouvrir sa maison. Il ne reste plus aucune ressource quand on est une fois tombé dans ce malheur. Le serre-file et le décurion sont punis du même genre de supplice, s’ils manquent d’avertir à propos, celui-là la ronde, l’autre le chef de la turme suivante. Une punition si sévère fait que la discipline, à l’égard des gardes nocturnes, est toujours exactement observée.

Les soldats reçoivent les ordres des tribuns, et ceux-ci des consuls. Le tribun a un pouvoir absolu lorsqu’il y a des amendes à imposer, ou des gages à prendre, ou des punitions à infliger.

La bastonnade est encore le supplice de ceux qui volent dans le camp, qui rendent quelque faux témoignage, qui, dans leur jeunesse, abusent de leur corps et se prêtent à quelque infamie, qui ont été repris trois fois de la même faute : tels sont les crimes punissables. Il en est d’autres qui sont, pour les soldats, une note de lâcheté et d’infamie : comme, par exemple, si, par intérêt, on se vante aux tribuns d’un exploit que l’on n’a pas fait ; si, par crainte, on abandonne son poste ou on jette ses armes pendant le combat. Aussi voit-on des soldats qui, dans la crainte d’être punis ou déshonorés, bravent tous les périls, et qui, attaqués par un nombre beaucoup supérieur, demeurent inébranlables à leur poste. D’autres, après avoir perdu, par hasard, leur bouclier, ou leur épée, ou quelque autre arme dans le combat, se jettent au milieu des ennemis, ou pour recouvrer ce qu’ils ont perdu, ou pour éviter, par la mort, la honte attachée à la lâcheté et les reproches de leurs corps.

S’il arrive que plusieurs soient en même temps coupables des mêmes fautes, et que des cohortes entières aient été chassées de leurs postes, alors, au lieu de les bâtonner ou de les faire mourir, ils se servent d’un moyen qui n’est pas moins avantageux que terrible. Le tribun assemble la légion ; il se fait présenter les coupables, et, après une sévère réprimande, il les fait tirer au sort, et en sépare cinq, huit, vingt, plus ou moins, selon le nombre de ceux qui, par crainte, ont commis quelque lâcheté ; chaque dixième d’entre eux est destiné au supplice, et ceux sur qui le sort tombe sont bâtonnés sans rémission. Le reste est condamné à ne recevoir que de l’orge au lieu de blé, et à camper hors du retranchement, au risque d’être attaqués par les ennemis. Or, comme le danger et la crainte de mourir sont égales pour tous, à cause de l’incertitude du sort, et que la peine honteuse de ne vivre que d’orge s’étend également à tous ces lâches, on trouve dans cette discipline et un préservatif contre les fautes à venir, et un remède pour les fautes passées.

Ils ont encore un excellent moyen pour inspirer du courage à la jeunesse. Après un combat, si quelques soldats se sont distingués, le consul assemble