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POLYBE, LIV. VI.

l’autre, prouve évidemment ce que j’avance. Les Lacédémoniens, pour avoir tenté de s’assurer la domination des Grecs, ont couru risque de perdre leur propre liberté : les Romains, au contraire, aidés par la facilité qu’ils avaient, après la conquête de l’Italie, de se fournir de toutes sortes de munitions, se sont soumis en peu de temps tout l’univers.

Pour le gouvernement de Carthage, il me paraît que, par rapport à certains points essentiels, il avait été assez bien établi ; car il y avait des rois, le sénat y avait le même pouvoir que si le gouvernement eût été aristocratique, et le peuple était le maître de certaines choses qui le regardaient. En général, cette république ressemblait assez à celle des Romains et des Lacédémoniens. Cependant elle était inférieure à celle de Rome, du temps de la guerre d’Annibal ; car tous les corps, tous les gouvernemens et toutes les entreprises sont assujettis à une même loi de la nature, d’abord ces choses croissent et s’augmentent, puis elles parviennent à leur état de perfection, enfin elles tombent et dépérissent. De ces degrés, le second est celui où elles ont le plus de force et de vigueur, et dont on doit tirer la différence qui se remarque alors entre les deux gouvernemens. Comme celui de Carthage était, avant celui de Rome, parvenu à son état parfait, il en était aussi tombé à proportion ; au lieu que celui de Rome était alors dans toute sa force et dans l’état le plus florissant. Chez les Carthaginois, c’était le peuple qui dominait alors dans les délibérations ; chez les Romains, c’était le sénat. Là on prenait les avis de la multitude ; ici, on consultait les plus habiles citoyens, et c’était d’après leurs conseils que se faisaient les grandes entreprises. Ce fut par ces sages mesures que, quoi qu’ils eussent été défaits en bataille rangée, ils eurent enfin le dessus sur les Carthaginois.

Si nous voulons maintenant comparer ces deux gouvernemens sous certains points de vue particuliers, nous trouverons d’abord que, par rapport à la guerre, les Carthaginois sont plus habiles dans les combats de mer que les Romains. C’est une science qui, chez eux, depuis long-temps passe des pères aux enfans, et nul autre peuple n’en fait un plus grand usage. Mais les Romains les surpassent de beaucoup dans la guerre d’infanterie, parce qu’ils s’y appliquent autant que les Carthaginois s’y appliquent peu. La cavalerie même est l’objet de peu d’attention à Carthage : la raison en est que l’on ne s’y sert que de troupes étrangères et mercenaires, et qu’au contraire, les Romains tirent les leurs de leur propre pays et de Rome même : et, en cela, le gouvernement romain a un grand avantage sur celui des Carthaginois ; car, tandis que celui-ci remet sa liberté entre les mains des troupes vénales, l’autre la défend par lui-même et avec le secours de ses alliés. Cet avantage est suivi d’un autre : c’est qu’après avoir été vaincus d’abord, ils recouvrent bientôt de nouvelles forces, au lieu que les Carthaginois ont beaucoup plus de peine à se relever. Ajoutons que les Romains, combattant pour leur patrie et pour leurs enfans, ne se relâchent jamais de leur première ardeur, et demeurent fermes dans la résolution de combattre, jusqu’à ce que leurs ennemis soient abattus. Quoiqu’ils n’aient pas été à beaucoup près si forts et si habiles sur mer, cela ne les empêchait pas de sortir avec succès d’une bataille générale ; la valeur des troupes suppléait à tout ce qui leur manquait d’ailleurs ; car, quoique la science et l’usage de la marine

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