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POLYBE, LIV. VIII.

de sûreté que comporte la circonstance. Or, les meilleures assurances contre la mauvaise foi sont les sermens, les enfans, les femmes prises en ôtage, mais surtout les antécédens de ceux avec qui l’on traite. Quand, malgré tout cela, on tombe dans quelque piége, ce n’est plus ceux qui sont trompés, mais ceux qui trompent, que l’on doit blâmer. Aussi la chose la plus importante est d’enchaîner la bonne foi de celui avec qui l’on traite par des liens qu’il ne puisse pas rompre ; mais comme il est rare d’en trouver de cette nature, la dernière ressource est de chercher de telles sûreté : si nous sommes surpris, au moins on ne pourra pas nous en imputer la faute. Nous avons quantité d’exemples de cette sage conduite dans l’antiquité ; mais il y en a un illustre dans les temps dont nous faisons l’histoire, c’est celui d’Achéus, qui, ayant pris, pour se mettre parfaitement à l’abri de la perfidie, toutes les sûretés qu’il est possible à un homme de prendre, tomba cependant au pouvoir des ennemis : mais loin qu’on lui en fit un crime, on eut compassion de son malheur, au lieu qu’on n’a eu que de la haine et de l’horreur pour ceux qui l’avaient trompé. (Dom Thuillier.)


II.


Grandes actions des Romains et des Carthaginois, constance opiniâtre de ces deux peuples dans leurs entreprises. — Utilité d’une histoire générale.


Je ne crois m’éloigner ni de mon sujet, ni du but que je me suis proposé au commencement de cet ouvrage, et arrêtant ici mes lecteurs pour leur faire considérer la grandeur des actions de deux républiques de Rome et de Carthage, et la constance opiniâtre avec laquelle elles poursuivaient leurs entreprises ; car n’est-il pas surprenant que, toutes deux, ayant deux guerres importantes à soutenir, l’une en Italie, l’autre en Espagne ; que, ne pouvant fonder toutes deux que des espérances fort incertaines sur l’avenir ; que, courant toutes deux le même risque, elles ne se soient pas bornées à ces deux luttes, mais se soient encore disputé la Sardaigne et la Sicile, et que non-seulement elles aient embrassé et fait réussir en espérance tant d’entreprises, mais encore aient fourni des vivres et des munitions pour les mettre à exécution ? On sera plus frappé encore, si l’on examine les choses en détail. Les Romains avaient en Italie deux armées complètes, commandées chacune par un consul ; ils en avaient encore deux en Espagne : une sur terre, que commandait Cnéius Cornelius, l’autre sur mer, qui avait pour général Publ. Scipion. Il en était de même des Carthaginois. Les Romains avaient, en outre, une flotte à l’ancre sur les côtes de la Grèce, pour suivre Philippe et observer ses desseins ; flotte qui fut commandée successivement par Marcus Valerius et Publius Sulpicius. Appius, commandait de plus cent galères, à cinq rangs de rames, et Marcus Claudius, avec une armée de terre, menaçait la Sicile ; et Amilcar faisait la même chose du côté des Carthaginois.

Après tous ces faits, je ne pense pas que l’on puisse douter de la vérité de ce que j’ai avancé au commencement de cet ouvrage : qu’il n’est pas possible, par la lecture des histoires particulières, de voir l’ordre et l’économie qui règnent dans l’enchaînement des faits ; car comment, en ne lisant que les histoires de Sicile et d’Espagne, connaîtra-t-on quels moyens la fortune a employés, ou de quelle sorte de gouvernement elle s’est servie pour faire de nos jours ce qui ne s’était jamais fait

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