Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
681
POLYBE, LIV. IX.

autre côté, quoique les Carthaginois n’eussent pas, sans leur cavalerie, la hardiesse d’attaquer le retranchement et le fossé des Romains, dont l’infanterie ne cédait point à la leur, ils eurent néanmoins de grandes raisons pour ne pas rester long-temps avec elle dans le même camp ; car, premièrement, les Romains, pour les en chasser, avaient porté le ravage dans les environs. De plus, il n’était pas possible de faire apporter de loin du foin ou des orges, pour un si grand nombre de chevaux et de bêtes de charge ; et outre cela, ils étaient dans une frayeur continuelle qu’il ne vînt de nouvelles troupes au secours des Romains, et que ces troupes campant encore auprès d’eux d’un autre côté, ne leur coupassent entièrement les vivres. Annibal, jugeant sur ces raisons qu’il tenterait vainement de faire lever le siége par force, eut recours à un autre expédient, qui était de couvrir sa marche, et de se montrer subitement dans le voisinage de Rome, dans la pensée que, jetant ainsi l’épouvante parmi les habitans, il ferait peut-être une tentative utile sur la ville, ou que du moins, par cette feinte il obligerait Appius, ou à se retirer de devant Capoue pour accourir au secours de sa patrie, ou à partager son armée ; auquel cas, il lui serait aisé de battre et ceux qui viendraient au secours, et ceux qui seraient restés au siége. Dans son dessein il pensa à faire tenir sûrement une lettre aux assiégés, pour les avertir de ce qu’il projetait ; car il craignait fort que sa retraite ne leur fît croire qu’il n’y avait plus pour eux d’espérance, et ne les portât à quitter son parti et à se rendre aux Romains. Pour cela, ayant persuadé à un Africain de se jeter parmi les Romains comme déserteur, et de passer de leur camp dans la ville, le jour d’après qu’il eut levé le camp, il le fit partir avec une lettre qui leur apprenait son dessein, et la raison pour laquelle il s’éloignait, afin qu’ils ne perdissent pas courage.

Quand les nouvelles de ce qui se passait à Capoue vinrent à Rome, et qu’on apprit qu’Annibal campait auprès des Romains et les assiégeait, ce fut une surprise et une terreur extrême ; chacun croyait toucher au jour où cette grande guerre allait se décider. En général comme en particulier ; on ne fut occupé que du soin d’envoyer du secours et des munitions.

Les assiégés ayant connu par la lettre d’Annibal quel était son dessein, et trouvant à propos de tenter encore cette voie, continuèrent à soutenir le siége. Au bout de cinq jours Annibal fait prendre du repos à ses soldats, et, laissant les feux allumés, marche avec si peu de bruit, que personne des ennemis ne savait qu’il fût parti. Il traverse le pays des Samnites à grandes journées, et, sans s’arrêter, faisant toujours reconnaître et prendre par son avant-garde toutes les places qui se rencontraient sur la route. On était encore à Rome dans les premières inquiétudes sur Capoue et sur ce qui s’y faisait, lorsque Annibal, ayant passé l’Arno sans être aperçu, approche de Rome et campe à quarante stades au plus de cette ville. Cette nouvelle jeta Rome dans un trouble et une confusion d’autant plus grands, qu’Annibal ne s’était jamais tant approché, et qu’on ne s’attendait à rien moins. Ce qui augmenta la frayeur fut la pensée qui vint d’abord à l’esprit, qu’il ne pouvait se faire que les ennemis se fussent tant avancés, si auparavant ils n’eussent défait les légions qui étaient à Capoue. Aussitôt les hommes montent sur les murailles, et se hâtent de s’emparer hors de la ville des postes avanta-