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POLYBE, LIV. X.

communication de l’étang à la mer, et sur la langue de terre qui sépare la mer de cet étang on a bâti un pont pour les bêtes de charge et les chariots qui apportent de la campagne les choses nécessaires à la vie. Par cette situation des lieux, la tête du camp des Romains était en sûreté, défendue qu’elle était par l’étang et par la mer qui était à l’autre côté. Scipion ne s’était pas non plus fortifié vis-à-vis l’espace qui est entre l’un et l’autre, et qui joint la ville au continent, quoique cet espace répondît au milieu de son camp ; soit que par là il eût dessein d’épouvanter les assiégés, soit que, disposé à attaquer, il voulût que rien ne l’arrêtât en sortant de son camp ou en s’y retirant. L’enceinte de la ville n’était autrefois que de vingt stades, quoique plusieurs auteurs lui en aient donné quarante. Mais cela n’est point exact ; j’en parle avec connaissance de cause, car je n’ai pas seulement entendu parler de cette ville, je l’ai vue de mes propres yeux. Aujourd’hui l’enceinte est encore plus petite.

La flotte étant arrivée à propos, Scipion assembla son armée. Dans la harangue qu’il lui fit, il ne se servit pour l’encourager, que des raisons qui lui avaient persuadé à lui-même d’entreprendre le siége, et que nous avons rapportées. Après avoir montré que l’entreprise était possible, et avoir fait voir en peu de mots combien cette affaire si elle réussissait, serait préjudiciable aux ennemis et avantageuse aux Romains, il promit des couronnes d’or à ceux qui les premiers monteraient sur la muraille, et les présens accoutumés à quiconque se signalerait dans cette occasion. Enfin il ajouta que ce dessein lui avait été inspiré par Neptune ; que ce dieu, lui ayant apparu pendant son sommeil, lui avait promis qu’au temps de l’attaque, il le secourrait infailliblement, et avec tant de force, que toute l’armée reconnaîtrait les effets de sa présence. La justesse et la solidité des raisons qu’il apporta, les couronnes qu’il promit, et, par dessus tout cela, l’assistance de Neptune, inspirèrent aux soldats une ardeur plus vive.

Le lendemain, ayant distribué à la flotte des traits de toute espèce, il donna ordre à Lélius, qui la commandait, de serrer de près la ville du côté de la mer. Par terre il détacha deux mille de ses plus braves soldats, leur donna des gens pour porter les échelles, et commença l’attaque à la troisième heure du jour. Magon, qui commandait dans la ville, ayant partagé sa garnison, laissa cinq cents hommes dans la citadelle, et avec les cinq cents autres alla camper sur la colline qui est à l’orient. Deux mille habitans, à qui il distribua les armes qui se trouvèrent dans la ville, furent postés à la porte qui conduit à cet endroit qui joint la mer au continent, et qui par conséquent conduisait aussi au camp des Romains ; et le reste des habitans eut ordre de se porter rapidement aux parties des murailles vers lesquelles des attaques seraient dirigées.

Dès que Scipion eut fait donner par les trompettes le signal de l’assaut, Magon fit marcher les deux mille hommes qui gardaient la porte, persuadé que cette sortie effrayerait les ennemis et renverserait leur dessein. Ces troupes fondent avec impétuosité sur ceux des Romains qui étaient rangés en bataille au bout de l’isthme. Il se livre un combat acharné. On s’anime de part et d’autre à bien faire. De l’armée et de la ville on accourt pour secourir les siens ; mais le secours n’était point égal, les Carthaginois ne pouvant sortir que par une porte et ayant un chemin de deux