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POLYBE, LIV. X.

stades à faire, au lieu que les Romains étaient à portée et venaient de plusieurs côtés. Ce qui rendait le combat inégal, c’est que Scipion avait rangé ses troupes en bataille près de son camp, afin que ce spectacle frappât de loin les assiégés, convaincus par là que ceux qui gardaient la porte, et qui étaient comme l’élite des habitans, étant une fois défaits, tout serait en confusion dans la ville, et que personne n’aurait plus la hardiesse de sortir de la porte. Comme de part et d’autre ce n’était que des troupes choisies qui combattaient, la victoire fut quelque temps à se déclarer. Enfin les Carthaginois, obligés de succomber pour ainsi dire sous le poids des soldats légionnaires qui venaient du camp, furent repoussés. Grand nombre perdirent la vie sur le champ de bataille et en se retirant ; mais la plus grande partie fut écrasée en entrant dans la porte, ce qui jeta les habitans dans une si grande consternation, que les murailles furent abandonnées. Peu s’en fallut que les romains n’entrassent dans la ville avec les fuyards, mais du moins cette déroute leur donna moyen d’appliquer sans crainte leurs échelles.

Scipion se trouva dans la mêlée, mais il pourvut autant qu’il put à la sûreté de sa personne. Trois soldats l’accompagnaient partout, et, le couvrant de leurs boucliers contre les traits qui venaient de la muraille, le préservaient de tout danger. Ainsi, tantôt voltigeant sur les côtés, tantôt montant sur les lieux les plus élevés, il contribua beaucoup à l’heureux succès de ce combat ; car de cette manière il voyait tout ce qui se passait et était vu de tout le monde, ce qui animait le courage des combattans. Cela fut aussi cause de ce que, dans le combat, rien de ce qui se devait faire ne fut négligé : dès que l’occasion se présentait d’exécuter quelque chose, il était toujours prêt à la saisir.

Ceux qui les premiers montèrent aux échelles, n’eurent pas tant à souffrir de la part des assiégés que de la hauteur des murailles. Les ennemis s’aperçurent de l’embarras où elle les jetait, et leur résistance en devint plus rigoureuse. En effet, comme ces échelles étaient très-hautes, grand nombre y montaient à la fois et les brisaient par la pesanteur du fardeau. Si quelques-unes résistaient, les premiers qui y montaient jusqu’au bout étaient éblouis par la profondeur du précipice, et pour peu qu’ils fussent repoussés, se précipitaient du haut en bas. Si on jetait par les créneaux des poutres ou quelque autre chose semblable, tous ensemble étaient renversés et brisés contre terre. Malgré ces difficultés, les Romains ne laissèrent pas de pousser l’assaut avec la même ardeur et le même courage. Les premiers culbutés, les suivans prenaient leur place, jusqu’à ce que le jour commençant à tomber, et les soldats n’en pouvant plus de fatigue, le général fit enfin sonner la retraite.

Pendant que les assiégés triomphaient et croyaient avoir détourné le danger, Scipion, en attendant que la mer se retirât, disposa cinq cents hommes avec des échelles sur le bord de l’étang. Il poste à l’endroit où le combat s’était livré, des troupes fraîches ; il les exhorte à bien faire leur devoir, et leur donne un plus grand nombre d’échelles qu’auparavant pour attaquer la muraille d’un bout à l’autre. Le signal se donne, on applique les échelles, on escalade la muraille dans toute sa longueur. Grand trouble, grande confusion parmi les Carthaginois : ils s’imaginaient n’avoir plus rien à craindre, et tout à coup un