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POLYBE, LIV. X.

de succès, quelquefois prêts à tomber sur le camp des ennemis, quelquefois même après avoir pris des villes, non-seulement ont manqué leurs entreprises, mais encore ont été malheureusement défaits, sans autre raison que celle que je viens de rapporter. Les généraux ne peuvent donc trop faire attention à ce que toutes les troupes, autant qu’il se pourra, aient la confiance que le butin, lorsqu’il y en aura, leur sera également distribué.

Pendant que les tribuns faisaient la distribution des dépouilles, le consul, ayant assemblé les prisonniers, qui étaient au nombre de près de dix mille, ordonna qu’on en fît deux classes, une des citoyens, de leurs femmes et de leurs enfans, et l’autre des artisans. Après avoir exhorté les premiers à s’attacher aux Romains, et à ne jamais perdre le souvenir de la grâce qu’il allait leur accorder, il les renvoya chacun chez eux. Ils se prosternèrent devant lui et se retirèrent en versant des larmes, que leur faisait répandre la joie d’une délivrance aussi inespérée. Pour les artisans, il leur dit qu’ils étaient maintenant esclaves du peuple romain, mais que, s’ils s’attachaient à ce peuple et lui rendaient, chacun selon sa profession, les services qu’ils devaient, ils pouvaient compter qu’on les mettrait en liberté dès que la guerre contre les Carthaginois serait heureusement terminée. Ils étaient au nombre de deux mille, qui eurent ordre d’aller donner leurs noms au questeur, et on les partagea en compagnies de trente hommes, à chacune desquelles on préposa un Romain pour les surveiller.

Parmi le reste des prisonniers, Scipion choisit ceux qui avaient la plus belle apparence et le plus de vigueur, pour en grossir le nombre de ses rameurs, qui par ce moyen s’accrut de moitié. Il en fournit aussi les galères qu’il avait prises, de façon qu’il en eut presque le double de ce qu’il avait auparavant ; car il prit dix-huit galères, et il en avait trente-cinq. Il fit à ses rameurs la même promesse qu’aux artisans, c’est-à-dire, qu’après qu’il aurait vaincu les Carthaginois, il leur donnerait la liberté, s’ils servaient les Romains avec zèle et affection. Cette conduite à l’égard des prisonniers lui gagna, ainsi qu’à la république, l’amitié et la confiance des citoyens, et, par l’espérance de la liberté qu’il fit concevoir aux artisans, il leur inspira une si grande ardeur pour son service, que, par sa manière d’agir douce et affable, il augmenta de moitié ses forces de mer.

Il sépara du reste des captifs Magon et ceux des Carthaginois qui avaient été faits prisonniers avec lui, parmi lesquels deux faisaient partie du conseil des anciens et quinze du sénat. Il les confia à garder à C. Lélius, lui enjoignant d’avoir pour eux tous les égards dus à leur dignité. Puis, s’étant fait amener tous les ôtages qui étaient au nombre de plus de trois cents, il commença par flatter et caresser les enfans les uns après les autres, leur promettant, pour les consoler, que dans peu ils reverraient leurs parens. Il exhorta les autres à ne pas se laisser abattre par la douleur et à mander chacun dans leur ville à leurs amis, qu’ils étaient sains et saufs, que rien ne leur manquait, et que les Romains étaient prêts à les renvoyer chacun dans leur patrie, pourvu que leurs compatriotes voulussent bien embrasser leur parti et faire alliance avec eux. Après cela, ayant choisi entre les dépouilles celles qui convenaient le plus à son dessein, il en fit des présens à chacun selon son sexe et son âge. Il donna aux petites filles des pendans