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POLYBE, LIV. XI.

une oisiveté trop longs, surtout lorsqu’ils sont dans la prospérité et qu’ils jouissent avec abondance de toutes les commodités de la vie.

Pour arrêter les suites que cette sédition pouvait avoir, Scipion, qui à une extrême vigilance joignait beaucoup d’adresse et d’activité, s’avisa de cet expédient. Il fut d’avis que l’on promît aux soldats qu’on leur payerait leur solde, et, afin qu’ils ne doutassent point de la sincérité de cette promesse, qu’on levât avec éclat et en diligence les taxes qui avaient été pour cet effet imposées aux villes, voulant par là leur faire croire que ces levées ne se faisaient que pour les payer. Il voulut encore que les sept tribuns qu’il avait déjà envoyés aux soldats révoltés, y retournassent pour les exhorter à rentrer dans leur devoir, et à venir à lui pour recevoir leur solde en corps, s’ils le jugeaient à propos, ou chacun en particulier. Cet avis ayant été adopté, il ajouta que le temps et les conjonctures apprendraient ce qui restait à faire. Toutes les mesures ainsi prises, on donna tous les soins possibles à amasser de l’argent. Dès que les tribuns eurent exécuté l’ordre qu’ils avaient reçu et que Scipion en eut été averti, il assembla son conseil pour délibérer sur le parti qu’il y avait à prendre. Tous convinrent qu’il fallait fixer le jour où chacun devait se trouver auprès du général, et, quand tout le monde serait arrivé, qu’on accorderait une amnistie à la multitude, mais que les mutins seraient punis avec sévérité. Ces mutins étaient au nombre de trente-cinq.

Le jour venu et les séditieux approchant de la ville, tant pour obtenir le pardon de leur faute, que pour recevoir leur solde, Scipion donna secrètement l’ordre aux sept tribuns d’aller au devant d’eux, de prendre chacun cinq des auteurs de la sédition, de leur faire beaucoup d’amitiés, de les inviter à loger avec eux, ou, si cela ne se pouvait pas, du moins à prendre avec eux leurs repas. Trois jours auparavant, il avait ordonné aux troupes qu’il avait avec lui, de faire provision de vivres pour plusieurs jours, parce qu’il devait marcher avec Silanus contre Indibilis, qui avait quitté le parti des Romains. Cette nouvelle rendit encore les séditieux plus fiers et plus hardis ; ils se flattèrent qu’ils disposeraient presque de tout à leur gré avec un général qui n’aurait pas d’autres soldats qu’eux.

Quand ils furent assez près de la ville, Scipion fit dire aux troupes qui y étaient renfermées, de partir avec leurs bagages le lendemain dès qu’il serait jour ; et aux tribuns et aux préfets, quand ils seraient sortis de la ville, d’envoyer en avant les bagages, mais de faire faire halte aux soldats à la porte, de se partager ensuite à chaque porte, et de veiller à ce qu’aucun des séditieux ne sortît de la ville. Les tribuns qui avaient ordre d’aller au devant d’eux ne manquèrent pas d’obéir. Ils allèrent les joindre des qu’ils arrivèrent, et leur firent beaucoup de caresses. Il leur avait été ordonné de s’en saisir d’abord, et, après le repas, de les lier et garder, sans permettre à personne de sortir de l’endroit où ils auraient mangé, excepté à celui qui devait porter au général la nouvelle de ce qui se serait passé. Tout cela ayant été exécuté, le lendemain au point du jour, Scipion voyant ces séditieux rassemblés dans la place publique, convoqua l’assemblée. Sur-le-champ tous accoururent selon la coutume, dans l’attente de voir leur général et d’entendre ce qu’il avait à leur dire sur les