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POLYBE, LIV. XII.

manquent de cette couleur locale que peut seulement donner l’expérience acquise, et sont incapables d’éveiller ces émotions véritables qu’un historien ne peut transmettre sans avoir été lui-même acteur dans les scènes qu’il décrit. C’est pour cela que nos ancêtres voulaient trouver dans les mémoires le cachet personnel de l’auteur. Ils demandaient à l’écrivain qui traitait de la politique, d’avoir mené en effet une vie politique, et d’y avoir fait preuve d’habileté ; ils demandaient à celui qui écrivait sur la guerre, d’avoir aussi fait la guerre, et d’en avoir éprouvé les dangers ; ils demandaient enfin à celui qui écrivait sur la vie domestique, d’avoir connu le mariage et d’avoir élevé des enfans. Il en était de même pour toutes les positions. Cette vérité de détails ne peut se rencontrer que dans ceux qui écrivent sur ce qu’ils ont fait, et donnent leurs soins à cette partie de l’histoire. Mais, me dira-t-on peut-être, on n’acquiert pas facilement la connaissance personnelle et pratique de chaque chose. Non, sans doute ; mais il est au moins indispensable de connaître ce qu’il y a de plus important et de plus général. (Ibid.)


Cela n’est cependant point impossible, comme le prouve l’exemple d’Homère, dans les œuvres duquel on trouve une connaissance parfaite de toutes ces choses. On peut conclure de là que l’étude des livres est la troisième des qualités de l’histoire, quoiqu’elle n’occupe pas le premier rang dans Timée. Et la vérité de ce que j’avance sera évidente, si l’on considère les discours, les exhortations et les harangues des ambassadeurs que Timée met en usage. Un petit nombre de lecteurs adopte ses longues harangues ; le plus grand nombre toutefois les aimerait mieux courtes ; quelques-uns même, préféreraient qu’il n’y en eût point. Les hommes d’aujourd’hui désirent une chose ; ceux d’autrefois en voulaient une autre. Les Étoliens accueillent ceux-ci, les Péloponnésiens ceux-là, et les Athéniens les autres. Cependant, multiplier partout les discours, comme le fait Timée, qui se montre si diffus en toute circonstance, c’est une occupation tout-à-fait puérile, et digne de l’école. Cette manière d’écrire a déjà fait beaucoup de tort à des historiens, et a valu le dédain du public. Mais, choisir à propos son temps pour de tels discours, et leur donner le ton qui convient, c’est une qualité véritable. (Ibid.)


Sur cela même que rien ne détermine l’emploi des discours, on ne saurait en préciser ni le nombre ni la forme. Il faut des études variées et des connaissances, pour qu’ils servent à l’historien, et ne lui nuisent point auprès des lecteurs. Il est difficile d’enseigner à s’en servir convenablement ; et on ne saurait jamais en faire sans bien connaître les mœurs et les coutumes. Quant au fait qui nous occupe, je vais développer ma pensée. Si les historiens nous mettaient sous les yeux les véritables mobiles de ceux qu’ils font parler ; s’ils reproduisaient les paroles qui ont été tenues ; si enfin ils développaient les causes qui ont fait réussir ou échouer tel ou tel orateur, certes, on en retirerait une connaissance véritable des choses ; il n’y aurait plus qu’à distinguer à quelles circonstances s’appliqueraient ou non des discours semblables. Mais il est difficile de rechercher le principe des événemens, pendant qu’il est facile de faire parade

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