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POLYBE, LIV. XIV.

ce qu’ils souffraient, ni ce qu’ils faisaient.

À la vue de ce feu, dont la flamme s’élevait à une hauteur prodigieuse, les Carthaginois crurent que cet embrasement s’était fait par hasard ; il y en eut quelques-uns qui coururent d’abord au secours ; mais tout le reste sortant sans armes du camp, regardait de devant le retranchement l’incendie avec une surprise extrême. Alors tout réussissant à Scipion selon ses désirs, il tombe sur ceux qui étaient sortis, passe les uns au fil de l’épée, poursuit les autres et met en même temps le feu à leurs huttes. En un moment, voilà dans le camp des Carthaginois le même embrasement et le même carnage que dans celui des Numides. Asdrubal ne songea point à éteindre le feu ; il vit bien alors que l’incendie du camp des Numides n’était pas venu du hasard comme il l’avait cru, mais de la ruse et de la hardiesse des Romains ; il ne pensa qu’à se sauver, malgré le peu d’espoir qu’il avait dans la fuite ; car le feu avait bientôt pris et s’était répandu partout : d’ailleurs les issues du camp étaient remplies de chevaux, de bêtes de charge et d’hommes, en partie demi-morts et consumés par le feu, en partie saisis d’étonnement et de frayeur. Le désordre, la confusion étaient si grands, que quelque courage qu’on se sentît alors, on ne pouvait espérer de se dérober à travers tant d’obstacles. Les autres chefs étaient dans le même embarras. Cependant Asdrubal et Syphax trouvèrent moyen de s’échapper avec quelques cavaliers ; mais une quantité innombrable d’hommes, de chevaux, de bêtes de charge furent misérablement réduits en cendres, et quelques autres non-seulement sans armes, mais même sans habits, en cherchant à se dérober au feu, furent égorgés par les Romains. Ce n’était dans les deux camps que des hurlemens pitoyables, que bruit confus, que saisissement, qu’un fracas extraordinaire, et avec cela un feu horrible et une flamme épouvantable. Une seule de ces choses était capable d’effrayer, à plus forte raison tant d’accidens réunis ensemble. Tout ce qu’on a vu jusqu’à présent d’événemens surprenans n’approche pas de celui-ci ; nous ne connaissons rien qui puisse nous en donner l’image. C’est aussi le plus beau et le plus hardi de tous les exploits de Scipion, quoique sa vie n’ait été qu’une suite de nombreux et beaux exploits. (Dom Thuillier.)


Scipion retourne au camp après la victoire. — Les Carthaginois réparent leurs forces, et Scipion remporte une seconde victoire. — Il s’empare de Tunis.


Le jour venu, malgré la défaite des ennemis, dont les uns étaient morts et les autres en fuite, Scipion ne laissa pas d’exhorter les tribuns à en poursuivre les restes. Asdrubal se fiant dans la forte situation de la ville où il s’était retiré, l’attendit d’abord de pied ferme, même après avoir reçu la nouvelle de son approche ; mais, voyant les habitans se soulever, il craignit de tomber entre les mains de ce général, et s’enfuit avec ceux qui s’étaient sauvés avec lui de l’incendie et qui étaient au nombre de cinq cents maîtres et de deux mille fantassins. Aussitôt le soulèvement cessa et la ville se rendit aux Romains. Scipion lui pardonna, mais deux autres villes voisines furent livrées au pillage ; après quoi il reprit la route de son premier camp.

Cet événement déconcerta les Carthaginois, et renversa tous leurs projets. Après avoir espéré d’assiéger les Romains en bloquant par terre et par mer la hauteur voisine d’Utique, sur