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POLYBE, LIV. XIV.

laquelle ils avaient établi leurs quartiers, et avoir déjà fait pour cela tous leurs préparatifs, ils se voient, par un accident imprévu, obligés d’abandonner honteusement le plat pays, et de craindre pour eux-mêmes et pour leur patrie une ruine totale. On peut juger quelle devait être leur frayeur et leur consternation. Comme cependant les affaires demandaient que l’on pensât sérieusement à l’avenir, le sénat s’assembla pour en délibérer. Les sentimens furent partagés. Les uns furent d’avis qu’on rappelât Annibal d’Italie, comme ne leur restant plus d’espérance qu’en lui et en son armée ; les autres qu’il fallait demander à Scipion une trève pendant laquelle on traiterait de la paix. Il y en eut, et leur sentiment l’emporta, qui dirent qu’il n’y avait aucune raison de désespérer, qu’on n’avait qu’à lever de nouvelles troupes, députer à Syphax, qui s’était retiré à Abbe, dans le voisinage, et rassembler tout ce que l’on pourrait de ceux qui avaient échappé à l’incendie. On fit donc partir Asdrubal pour faire des levées, et l’on députa à Syphax, pour le prier de ne pas se désister de son premier projet, et lui dire qu’incessamment Asdrubal le rejoindrait avec son armée.

Scipion pensait toujours à faire le siége d’Utique ; mais dès qu’il apprit que Syphax demeurait dans le parti des Carthaginois, et que ceux-ci assemblaient de nouveau une armée, il se mit en marche et alla camper devant cette ville. Il fit en même temps distribuer le butin aux soldats, et leur envoya des marchands pour l’acheter. C’était pour lui un profit considérable, car le dernier avantage faisait espérer aux soldats qu’ils seraient indubitablement les maîtres de l’Afrique ; ils ne faisaient point de cas du butin qu’ils venaient de gagner, et le donnaient presque pour rien aux marchands.

Syphax et ses amis voulaient d’abord continuer leur route et se retirer chez eux ; mais ayant rencontré autour d’Abbe plus de quatre mille Celtibériens que les Carthaginois avaient levés, ce secours releva un peu leur courage, et ils n’allèrent pas plus loin. Syphax était encore arrêté par sa femme, qui, étant fille d’Asdrubal, le suppliait avec instance de continuer à suivre le parti des Carthaginois et de ne pas les abandonner dans ces conjonctures. Il se laissa gagner et se rendit à ce qu’on demandait de lui. D’un autre côté les Carthaginois fondaient de grandes espérances sur les Celtibériens. Au lieu de quatre mille, on disait qu’il en arrivait dix mille, tous soldats invincibles et par leur courage et par l’excellence de leurs armes. À cette nouvelle que l’on répandait de toutes parts, les Carthaginois reprirent courage et se disposèrent plus que jamais à se remettre en campagne. Au bout de trente jours ils s’assemblèrent dans ce qu’on appelle les Grandes-Plaines, et campèrent là avec les Numides et les Celtibériens, ce qui faisait une armée d’environ trente mille hommes.

Scipion n’en fut pas plutôt averti qu’il pensa à marcher contre eux. Il donne ses ordres aux troupes qui, par mer et par terre, assiégeaient Utique, et part avec tout ce qu’il avait de soldats légèrement armés. Après cinq jours de marche, il arrive aux Grandes-Plaines, et dès le premier jour il campe sur une hauteur à trente stades des ennemis. Le jour suivant il descend dans la plaine, et fait avancer sa cavalerie jusqu’à sept stades devant lui. On resta là deux jours à s’essayer les uns les autres par des escarmouches. Au qua-

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