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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/807

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POLYBE, LIV. XV.

Traité de paix conclu entre les Romains et les Carthaginois.


Quand les malheureux, pour exciter la compassion, font plus qu’on a coutume de faire, s’ils agissent sincèrement et de bonne foi, on ne peut ni les voir ni les entendre sans être attendri. Mais si l’on s’aperçoit que la douleur n’est que feinte et qu’on n’en affecte les apparences que pour tromper, alors, loin d’être touché de compassion, on est indigné contre l’imposteur. C’est ce qui arriva aux ambassadeurs des Carthaginois. La réponse que leur fit Scipion ne fut pas longue. Il leur dit qu’après l’aveu qu’ils venaient de faire, le siége de Sagonte avait été une entreprise contraire aux traités, et comme depuis peu ils avaient encore violé les sermens et les articles de paix dont on était convenu, leur république ne devait pas s’attendre qu’on eût pour elle aucun égard, et que par elle-même elle ne méritait que d’être traitée avec la dernière rigueur ; que cependant les Romains en useraient avec leur générosité ordinaire, tant pour eux-mêmes, que pour ne point paraître insensibles aux malheurs de la condition humaine ; que si les Carthaginois voulaient se rendre justice, ils conviendraient eux-mêmes qu’ils n’étaient dignes d’aucune faveur ; que, quelque peine qu’on leur fît souffrir, quelque chose qu’on les obligeât de faire, quelque exaction dont on les chargeât, ils ne devaient pas s’en plaindre comme d’un traitement rigoureux ; qu’au contraire il devait leur paraître étrange, et ce serait pour eux une espèce de prodige, qu’après avoir, par la perfidie, irrité la fortune jusqu’au point d’être livrés à leurs ennemis, on eût encore quelque indulgence et quelque bonté pour eux. Après ce petit discours, il leur donna les articles qui contenaient et les grâces qu’il voulait leur faire, et les conditions qu’il exigeait d’eux. Les voici en substance :

« Qu’ils garderaient dans l’Afrique les places qu’ils avaient avant la dernière guerre qu’ils avaient faite aux Romains ; qu’ils auraient encore les terres, les esclaves, et tous les autres biens dont ils étaient auparavant en possession ; qu’à compter de ce jour il ne serait fait contre eux aucun acte d’hostilité ; qu’ils vivraient selon leurs lois et leurs coutumes, et qu’on ne leur donnerait point de garnisons. » Tels étaient les articles de douceur ; ceux de rigueur portaient :

« Que les Carthaginois restitueraient aux Romains tout ce qu’ils avaient injustement pris sur ceux-ci pendant les trèves ; qu’ils leur remettraient tous les prisonniers de guerre et les fuyards qu’ils avaient pris en quelque temps que ce fût ; qu’ils leur abandonneraient tous leurs vaisseaux longs, à l’exception de dix galères ; qu’ils leur livreraient tous leurs éléphans ; qu’ils ne feraient aucune guerre ni au dehors ni au dedans de l’Afrique sans l’ordre du peuple romain ; qu’ils rendraient à Massinissa les maisons, terres, villes et autres biens qui avaient appartenu à lui ou à ses ancêtres, dans toute l’étendue de pays qu’on leur désignerait ; qu’ils fourniraient de vivres l’armée romaine pendant trois mois ; qu’ils payeraient sa solde jusqu’à ce que l’on eût reçu réponse des Romains sur les articles qui leur avaient été envoyés ; qu’ils donneraient dix mille talens d’argent en cinquante ans, en payant chaque année deux cents talens d’Eubée ; que pour assurance de leur fidélité ils donneraient cent ôtages que le consul choisirait parmi leurs