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POLYBE, LIV. XV.

gens, depuis quatorze ans jusqu’à trente. »

La lecture de ces articles achevée, les ambassadeurs partirent au plus tôt pour Carthage, et en firent part au sénat. Pendant qu’ils parlaient, un des sénateurs, qui n’en était pas satisfait, ayant commencé à se déclarer, Annibal, dit-on, s’avança, saisit le personnage et le jeta hors de son siége. Comme toute l’assemblée paraissait indignée d’une action si contraire au respect dû à un sénateur, Annibal se lève, et dit qu’il était excusable s’il commettait quelque faute contre les usages ; que l’on savait qu’il était sorti de sa patrie dès l’âge de neuf ans, et qu’il n’y était revenu qu’après plus de trente-six ans d’absence ; que l’on ne prît pas garde s’il péchait contre la coutume, mais bien s’il prenait, comme il le devait, les intérêts de la patrie ; que c’était pour les avoir eus à cœur qu’il était tombé dans la faute qu’on lui reprochait ; qu’il lui paraissait surprenant et tout-à-fait extraordinaire, qu’un Carthaginois instruit de ce que l’état en général et chacun en particulier avait entrepris contre les Romains, ne rendît pas grâces à la fortune, de ce qu’étant tombé en leur puissance, il en était traité si favorablement ; que si quelques jours avant la bataille on eût demandé aux Carthaginois quels maux la république aurait à souffrir en cas que les Romains remportassent la victoire, ils n’auraient pu les exprimer, tant ils leur auraient paru grands et formidables ; qu’il demandait en grâce que l’on ne délibérât pas sur ces articles, qu’on les reçût avec joie, que l’on fit des sacrifices aux dieux, et qu’on les priât tous de faire en sorte que le peuple romain ratifiât le traité. On trouva cet avis très-sensé et tout-à-fait convenable aux intérêts de l’état : on résolut de faire la paix aux conditions proposées, et sur-le-champ le sénat fit partir des ambassadeurs pour la conclure. (Dom Thuillier.)


II.


Procédé injuste de Philippe et d’Antiochus contre le fils de Ptolémée.


Chose étonnante ! Pendant que Ptolémée vivait et qu’il pouvait se passer du secours de Philippe et d’Antiochus, ces deux princes étaient toujours prêts à le secourir ; à peine est-il mort, laissant après lui un jeune enfant à qui les lois de la nature les obligeaient de conserver le royaume, qu’ils s’animent l’un l’autre à partager cette succession, et à se défaire du légitime héritier. Encore si, comme les tyrans, ils avaient mis leur honneur à couvert par quelque prétexte au moins léger ; mais ils se conduisirent en cela d’une manière si féroce et si brutale, qu’on leur appliqua ce que l’on dit ordinairement des poissons : qu’entre ces animaux, quoique de même espèce, les plus petits servent de nourriture aux plus gros. Peut-on jeter les yeux sur le traité que firent ensemble ces deux rois, que l’on ne voie clairement leur impiété, leur inhumanité, leur ambition et leur avarice excessive ? Que si quelqu’un sait mauvais gré à la fortune de se jouer ainsi des pauvres mortels, qu’il prenne à son égard des sentimens plus modérés : elle eut soin de punir ces deux rois comme ils le méritaient, et en fit un exemple qui servira dans les siècles à venir à contenir dans le devoir ceux qui voudraient les imiter. Pendant qu’ils ne cherchaient qu’à se tromper l’un l’autre, et qu’ils déchiraient par morceaux le royaume du jeune roi, la fortune, suscitant contre eux les Romains, fit retomber justement sur eux