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POLYBE, LIV. XVII.

contre ce prince avec vigueur, résolution que le sénat devait d’autant moins hésiter à prendre, que le plus fort de cette guerre était terminé, puisque les Macédoniens avaient déjà perdu deux batailles sur mer, et que sur terre toutes leurs munitions étaient consommées. Ils conclurent en suppliant le sénat de ne pas permettre que les Grecs eussent espéré en vain rentrer dans leur ancienne liberté, et de ne pas se priver lui-même, s’ils y rentraient, du glorieux titre de libérateur, qu’il devait attendre de leur reconnaissance. Après eux, les ambassadeurs de Philippe semblaient disposés à faire une longue harangue, mais on leur ferma d’abord la bouche. Interrogés s’ils se retiraient de Chalcis, de Corinthe et de Démétriade, ils répondirent qu’ils n’avaient point reçu d’ordre à ce sujet, et les reproches qu’on leur en fit leur imposèrent silence.

Le sénat envoya dans les Gaules les deux consuls, comme nous disions tout-à-l’heure, et il fut réglé que l’on continuerait la guerre contre Philippe, et que Flaminius serait chargé des affaires de la Grèce. Ces nouvelles portées chez les Grecs, firent que tout ensuite réussit au gré de Flaminius. On peut dire que la fortune ne contribuait que fort peu à son bonheur. Il n’en était redevable qu’à la prudence avec laquelle il conduisait toutes ses entreprises ; habile et intelligent autant que jamais Romain l’ait été, et gouvernant les affaires de sa république et les siennes propres, avec tant d’adresse et de dextérité, qu’il n’avait pas son égal. Alors cependant il était encore très-jeune, car il n’avait pas plus de trente ans. Il est de premier qui ait passé avec une armée dans la Grèce. (Dom Thuillier.)


II.


Qui l’on doit appeler traître.


Entre les opinions humaines dont la fausseté m’a souvent frappé, celle où l’on est au sujet des traîtres me paraît la plus étonnante. Puisque l’occasion se présente ici d’en parler, il faut que j’éclaircisse cette matière, malgré la difficulté que je sens d’expliquer clairement et de décider quels sont ceux que l’on peut, à juste titre, appeler du nom de traîtres.

Ce ne sont pas certainement ceux qui, pendant que tout est tranquille dans un état, conseillent, pour assurer cette tranquillité, de faire alliance avec quelques rois ou avec quelques autres puissances. Il serait injuste encore de traiter ainsi ceux qui, dans certaines conjonctures, font en sorte que leur patrie renonce à certains alliés pour passer à d’autres. C’est à ces sortes de gens qu’on a dû souvent les plus grands avantages, les biens les plus précieux. Sans en aller chercher fort loin des exemples, le temps dont nous parlons nous en offre de convaincans. La nation achéenne était perdue sans ressource, si Aristénète, en la détachant de Philippe, ne lui eût fait faire alliance avec la république romaine. Par là, non-seulement il mit sa patrie hors d’atteinte, mais il lui procura encore des accroissemens considérables. Aussi fut-il alors regardé non comme un traître, mais comme le bienfaiteur et le libérateur de son pays. Ainsi doivent être considérés tous ceux qui dans certaines circonstances se sont conduits de la même manière. De là l’on peut voir que Démosthène, quelque estimable qu’il soit par beaucoup d’endroits, a très-grand tort de réclamer avec tant d’aigreur contre les Grecs les plus illustres, et de leur donner indifféremment