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POLYBE, LIV. XVII.

le nom de traîtres, parce qu’ils se sont unis d’intérêts avec Philippe. C’est cependant le nom injurieux qu’il donne dans l’Arcadie à Cercidas, à Hiéronyme et à Eucampidas ; aux Messéniens Néon et Thrasyloque, fils de Philiades, aux Argiens Myrtis, Télédame et Mnasias ; aux Thessaliens Daoque et Cinéas ; aux Béotiens Théogiton et Timolaüs, et plusieurs autres qu’il choisit dans chaque ville, et qu’il désigne par leur nom, quoique tous ces accusés, et entre autres les Arcadiens et les Messéniens, aient de fortes raisons pour justifier leur conduite. Car ces derniers, en attirant Philippe dans le Péloponnèse et en diminuant par là la puissance des Lacédémoniens, ont fait deux grands biens. Premièrement, ils ont tiré d’oppression tous les peuples de cette contrée, et leur ont fait goûter quelque espèce de liberté. En second lieu, recouvrant le pays et les villes que les Lacédémoniens, fiers de leur prospérité, avaient enlevés aux Messéniens, aux Mégalopolitains, aux Tégéates et aux Argiens, ils ont, sans contredit, fort augmenté les forces et la puissance de leur patrie. Leur convenait-il, après avoir reçu de Philippe de si bon offices, de prendre les armes contre ce prince et contre les Macédoniens ? S’ils eussent demandé à Philippe des garnisons, si contre les lois ils eussent blessé la liberté commune, s’ils n’eussent agi que pour s’acquérir du crédit et de la puissance, en ce cas l’injurieux nom de traître leur serait donné avec justice ; mais si, sans aller contre les lois du pays, ils n’ont pensé différemment des autres que parce qu’ils ont jugé que les intérêts d’Athènes n’étaient pas ceux de l’Arcadie et de Messène, ils ne devaient pas pour cela passer pour traîtres dans l’esprit de Démosthène. Cet orateur s’est mécompté grossièrement, s’il s’est mis en tête de mesurer tout à l’avantage de sa patrie et en prétendant que tous les Grecs devaient prendre des Athéniens la règle de leur conduite. Ce qui arriva pendant ce temps-là aux Grecs fait assez connaître qu’Eucampidas et Hiéronyme, Cercidas et les fils de Philiades voyaient bien plus clair dans l’avenir que Démosthène ; car les Athéniens, en se roidissant contre Philippe sur les conseils de l’orateur, furent taillés en pièces à la bataille de Chéronée, bataille qui les aurait réduits aux dernières extrémités, si le généreux vainqueur ne les eût épargnés ; au lieu que la sage politique des Grecs que nous venons de nommer mit l’Arcadie et la Messénie en général à couvert des insultes des Lacédémoniens, et procura aux villes particulières de ces Grecs un grand nombre d’avantages considérables.

On voit par là qu’il n’est pas aisé de marquer précisément qui doit être appelé traître. Je crois cependant qu’on pourrait nommer ainsi, sans se tromper, ces gens qui, dans des conjonctures délicates, soit pour se mettre en sûreté, soit pour leur propre utilité, soit par dépit contre ceux qui gouvernent sur un autre plan et sur d’autres lumières que les leurs, livreraient l’état aux ennemis ; ou ceux encore qui, pour avoir des garnisons et exécuter avec des secours étrangers des entreprises qui leur seraient particulières, soumettraient leur patrie à une puissance plus forte qu’elle. Toutes ces sortes de brouillons peuvent être mis sans crainte au nombre des traîtres, souillure funeste qui ne produit rien de bon et de solide à ceux qui en sont noircis, mais qui, au contraire, a toujours pour eux des suites très-fâcheuses.

Je ne conçois pas, pour revenir à ce que nous disions au commencement,