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POLYBE, LIV. XXII.

dix fois plus d’étendue qu’il n’en a maintenant. Que si vous les lui accordez tous, ou du moins la plupart, il n’y aura pas de royaume plus grand et plus puissant que le sien. Il vous est donc permis, Romains, de gratifier magnifiquement vos amis, sans que pour cela vous négligiez les intérêts de votre gloire, et que vous manquiez à ce qui donne le plus d’éclat à vos entreprises ; car le but que vous vous y proposez n’est pas celui que se proposent les autres conquérans : ceux-ci ne se mettent en campagne que pour subjuguer et envahir les villes, les munitions, les vaisseaux ; mais vous, après avoir soumis l’univers entier à votre domination, vous vous êtes mis en état de vous passer de toutes ces choses. De quoi donc avez-vous maintenant besoin ? Que devez-vous maintenant rechercher avec plus d’empressement et de soin ? Les louanges et la gloire, deux choses qu’on acquiert difficilement, et qu’il est encore plus difficile de conserver. En voulez-vous être convaincus ? Vous avez fait la guerre à Philippe, vous vous êtes exposés à toutes sortes de dangers, uniquement pour mettre les Grecs en liberté, c’est l’unique fruit que vous vous êtes proposés de tirer de cette expédition. Cela seul cependant vous a fait plus de plaisir que les peines terribles par lesquelles vous vous êtes vengés des Carthaginois. Nous n’en sommes nullement surpris. L’argent que vous en avez exigé est un bien commun à tous les hommes ; mais l’honneur, les louanges, la gloire ne conviennent qu’aux dieux et aux hommes qui approchent le plus de la divinité. Le plus beau de vos exploits, c’est d’avoir mis les Grecs en liberté ; si vous faites la même grâce aux Grecs de l’Asie, votre gloire est à son comble, elle est parvenue au plus haut degré qu’elle puisse atteindre ; mais si vous manquez à couronner la première action par la dernière, vous perdrez beaucoup de la gloire que la première vous avait acquise. Pour nous, Romains, qui sommes entrés dans vos vues, et qui, pour les faire réussir, avons partagé avec vous les plus grand périls, nous gardons toujours à votre égard les mêmes sentimens, et c’est par cette raison que nous n’avons pas craint de vous dire ce qui nous a paru vous être plus convenable et plus avantageux. Notre propre intérêt ne nous touche pas, nous n’avons rien à cœur que ce qu’il vous convient de faire. » Ainsi parlèrent les ambassadeurs des Rhodiens, et la solidité jointe à la modestie de leur discours leur attira les applaudissemens de tout le conseil.

Antipater et Zeuxis, ambassadeurs d’Antiochus, entrèrent ensuite et se bornèrent à demander, à supplier que ; la paix faite en Asie par les deux Scipion fût confirmée. Ce qui fut exécuté sur-le-champ par le sénat. Quelques jours après, le peuple ayant ratifié le traité, on fit à Antipater les sermens qu’on a coutume de faire dans ces occasions. On appela ensuite les autres ambassadeurs qui étaient venus d’Asie. L’audience qu’ils eurent ne fût pas longue. On leur fit à tous la même réponse, qui était que l’on nommerait dix députés pour aller sur les lieux connaître des différends que les villes avaient entre elles. On les nomma en effet, et on leur donna pouvoir de régler à leur gré les affaires particulières. Pour les générales, le sénat ordonna que tous les peuples qui étaient en-deçà du mont Taurus et qui obéissaient à Antiochus, reconnaîtraient désormais Eumène pour leur roi, à l’exception de la Lycie, et