Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 81 —

par les deux détachemens de cavalerie, devait lui faire croire que le consul se hâterait de venir l’attaquer. Le moindre retard pouvait compromettre le succès de son entreprise.

En traversant l’Isère, Annibal se trouva dans l’île des Allobroges. Polybe désigne ainsi la partie septentrionale du Dauphiné, comprise entre le Rhône, l’Isère, et une chaîne de montagnes qui s’étend du Midi au Nord, depuis Grenoble jusqu’au canal de Chanuz par lequel les eaux du lac Bourget se versent dans le Rhône. Annibal y entra après quatre jours de marche depuis le passage du Rhône ; il avait parcouru la distance de soixante-quinze milles Romains.

Arrivé près de Vienne, il trouve deux frères sous les armes, et sur le point de décider, par une bataille, lequel des deux gouvernerait. L’aîné, Brancus, vient implorer le secours d’Annibal, qui le fait triompher, et l’affermit dans sa puissance.

Pour récompense, le Carthaginois obtint, dit-on, des vivres, des armes, et des vêtemens. La saie des Gaulois, que ces peuples eussent pu lui fournir, ne pouvait guère garantir des africains sur la cime des Alpes ; les petits boucliers et la mauvaise épée de ces sauvages, n’étaient pas non plus des armes propres à vaincre les Romains.

S’il était permis de former des conjectures en écrivant l’histoire, on serait tenté de supposer qu’Annibal avait envoyé depuis long-temps dans ces cantons des gens industrieux, qui sous divers prétextes, tiraient de Marseille, par le Rhône, toutes les munitions dont Annibal prévoyait qu’il aurait grand besoin avant de passer les montagnes. Ce fut peut-être la certitude de trouver ces approvisionnemens qui lui révéla cette pensée hardie de laisser les Alpes maritimes où l’armée romaine devait l’attendre, pour remonter le Rhône, et aller prendre ces montagnes de revers par le pays des Allobroges. Conception admirable qui lui donnait la facilité de transporter tout-à-coup son armée dans un bassin fertile, au milieu des Gaulois Cisalpins, ses alliés naturels.

Tant que les Carthaginois furent dans le plat pays, les chefs inférieurs des Allobroges se tinrent éloignés par la crainte de la cavalerie ; mais lorsque l’armée voulut entrer dans les défilés qui sont au-dessus de Yenne, ils assemblèrent leurs gens en grand nombre, pour occuper tous les postes avantageux.

L’armée carthaginoise était accompagnée de Magyle, roi des Boïes, qui vint avec des Gaulois Cisalpins pour lui servir de guides. Annibal, ayant appris par eux que l’ennemi gardait soigneusement ses postes pendant le jour, et qu’à la nuit il se retirait dans une bourgade voisine, fait quitter à ses troupes leurs positions, approche ouvertement des Allobroges, et ordonne d’allumer des feux. Mais à l’entrée de la nuit, ce général s’empare du passage avec des troupes d’élite, et force les barbares à s’éloigner. Ils inquiétèrent cependant beaucoup son armée, ce qui obligea les Carthaginois de prendre leur bourgade.

Les circonstances fâcheuses où ils se trouvèrent en traversant le défilé qui formait l’entrée des Alpes, après une marche de huit cents Stades (ou cent milles Romains), le long du Rhône, depuis l’embouchure de l’Isère, se rapporte parfaitement au-passage du Mont-du-Chat ; et le lieu d’où les Allobroges étaient sortis, ne peut être que Lémine, près de Chambéry, qui n’existait pas encore. Depuis cette ville, l’armée marcha trois jours, et se trouva chez les

6