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POLYBE, LIV. XXVI.

quelles mesures Q. Marcius n’avait-il pas prises pour empêcher que sans l’aveu des Romains ils n’ordonnassent rien contre les Messéniens ? On les a vus malgré cela décerner la guerre de leur propre autorité, mettre leur pays au pillage, envoyer en exil quelques-uns de leurs plus illustres citoyens, et en faire mourir dans les plus honteux supplices d’autres qui s’étaient rendus à leur discrétion, sans qu’ils fussent coupables d’autre crime que d’avoir pris les Romains pour juges du différend qu’ils avaient avec les Achéens. Depuis combien de temps leur avez-vous écrit de rappeler les exilés de Lacédémone ? Cependant, loin de les rappeler, ils ont fait graver sur une colonne une résolution toute contraire, et se sont engagés par serment à ne jamais les rétablir. Apprenez de ces exemples quelles précautions vous avez à prendre pour l’avenir. » Après ce discours, Callicrate se retira. Les exilés entrèrent après lui, expliquèrent leur affaire en peu de mots et de façon à émouvoir la compassion de leurs auditeurs, et prirent congé.

Un discours aussi favorable aux intérêts de la république que l’était celui de Callicrate ne pouvait qu’être agréable au sénat. Il s’y trouva des sénateurs qui dirent qu’il fallait augmenter le crédit et le pouvoir de ceux qui prenaient en main la défense de l’autorité romaine, et abaisser ceux qui osaient ne pas s’y soumettre. Ce fut alors qu’on prit à Rome, pour la première fois, le funeste parti d’humilier et de décréditer ceux qui, chacun dans sa patrie, pensaient le mieux, et de combler de biens et d’honneurs ceux qui justement ou sans raison tenaient pour la puissance romaine ; parti qui, peu de temps après, multiplia les flatteurs et diminua beaucoup le nombre des vrais amis de la république. Au reste, le sénat ne se contenta pas, pour rétablir les exilés, d’écrire aux Achéens ; il écrivit encore aux Étoliens, aux Épirotes, aux Athéniens, aux Béotiens, aux Acarnaniens, comme voulant soulever tous les peuples contre les Achéens ; et dans la réponse qu’il fit aux députés, sans dire un seul mot des autres, il ne parla que de Callicrate, auquel il serait à souhaiter, dit-il, que tous les magistrats dans chaque ville ressemblassent. Avec cette réponse, ce député revint triomphant dans la Grèce, sans considérer qu’il était la cause des malheurs qui allaient fondre sur toute la Grèce, et en particulier sur l’Achaïe. Car jusqu’à lui on voyait du moins une certaine égalité entre les Achéens et les Romains. Ceux-ci souffraient que les autres allassent en quelque sorte de pair avec eux, parce qu’ils avaient éprouvé leur fidélité dans des temps très-difficiles, je veux dire pendant leurs guerres contre Philippe et Antiochus. Cette petite ligue commençait à se distinguer. Dans le temps dont nous parlons, elle avait déjà fait de grands progrès, lorsque la trahison de Callicrate vint troubler les espérances qu’on avait conçues de ce bel établissement. Je dis trahison, car tel est le caractère des Romains ; nobles dans leurs sentimens et portés naturellement aux belles actions, ils sont touchés des plaintes des malheureux, et sont charmés de soulager ceux qui ont recours à leur protection. Mais si quelqu’un, de la fidélité duquel ils sont sûrs, les avertit des inconvéniens où ils tomberaient en accordant certaines grâces, ils reviennent bientôt à eux, et réforment autant qu’ils peuvent ce qu’ils ont fait. Callicrate, allant à Rome, n’était chargé que de soutenir les droits des Achéens, puisque les Romains ne faisaient aucunes plaintes sur ce qui s’était passé à l’égard des Messé-