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POLYBE, LIV. XXX.

peuples de la Grèce, et exagérait outre mesure ceux que les Rhodiens avaient rendus. Quand il s’agissait de fautes, c’était tout le contraire. Pendant qu’il chargeait les autres avec emportement, il adoucissait et faisait presque disparaître tout ce qui se pouvait reprocher aux habitans de Rhodes. S’il mettait en parallèle les fautes de ceux-ci et des autres, c’était afin que celles des Rhodiens parussent petites, peu considérables, dignes de pardon, et celles des autres grandes et impardonnables : d’où il concluait que les Romains ayant pardonné les dernières, ils ne pouvaient se défendre de pardonner celles de la république rhodienne. Or le retour de cette apologie ne convient point du tout à un homme employé au maniement des affaires. On ne fait nul cas de ces hommes lâches qui, joints avec d’autres pour quelques pratiques secrètes, se laissent intimider par des menaces, ou ébranler par les tourmens, jusqu’au point de déclarer leurs complices ; mais on loue et on estime les hommes fermes qui, au milieu même des plus grands supplices, refusent constamment d’entraîner dans leur malheur quelqu’un de ceux avec qui ils étaient unis. Que doit-on donc penser d’un homme qui, sur la crainte d’un malheur incertain, révèle à une puissance les fautes d’autrui, et renouvelle le souvenir de choses que le temps avait fait oublier ? Au reste Philocrate, aussitôt après la réponse du sénat, partit de Rome pour la porter à Rhodes, et Astymède n’en sortit point ; il y resta pour y observer tout ce qui s’y pourrait dire ou faire contre sa patrie.

La réponse du sénat ayant dissipé à Rhodes la crainte qu’on y avait que les Romains ne prissent les armes contre la république, fit paraître légers tous les autres maux qu’on y souffrait, quelque grands qu’ils fussent. Cela est assez ordinaire : l’attente de grands maux amortit toujours le sentiment de ceux qui le sont moins. Sur-le-champ on décerna aux Romains une couronne de la valeur de dix mille pièces d’or, et l’on choisit pour la présenter l’amiral Théodote, qui partit au commencement de l’été. On lui adjoignit une autre députation, dont le chef était Rhodophon, pour tenter en toute manière de faire alliance avec les Romains. Les Rhodiens ne voulurent pas faire mention de cette alliance dans le décret, de peur que si cela ne plaisait pas aux Romains, ils ne se repentissent de l’avoir ordonné. Ils laissèrent à l’amiral le soin de faire cette tentative, parce que les lois lui donnent le pouvoir de conclure ces sortes de traités.

Il est bon de remarquer, en passant, que la politique des Rhodiens jusque là avait été de ne point faire alliance avec les Romains, quoique, depuis près de cent quarante ans, ils eussent eu part aux plus brillantes expéditions de cette république. La raison de cette conduite mérite d’être rapportée. Comme ils étaient bien aises que toutes les puissances pussent aspirer à leur alliance, ils ne voulaient pas partager leurs forces ni enchaîner leur liberté par des sermens et des traités. Restant libres et maîtres d’eux-mêmes, ils étaient en état de mettre à profit tout ce qui se présenterait d’avantageux. Mais, dans la circonstance présente, ils crurent devoir changer leur allure. Ils firent tous leurs efforts pour obtenir le glorieux titre d’alliés des Romains ; non qu’ils briguassent des alliances ou qu’ils craignissent d’autre puissance que la puissance romaine, mais pour dissiper, par ce changement de conduite, tous les soupçons fâcheux qu’on avait conçus contre leur république.

Au reste, cette ambassade, à la tête