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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/982

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POLYBE, LIV. XXXI.

traita avec les matelots, sans que personne le soupçonnât. Quand tout fut prêt pour l’embarquement, et qu’il ne restait plus à Démétrius qu’à se disposer lui-même, ce prince fit partir Diodore, son gouverneur, afin qu’il le précédât dans la Syrie, et qu’il observât quelles étaient les dispositions des peuples à son égard. Il découvrit ensuite son dessein à Méléagre et à Ménestée, frères d’Apollonius, qui avait été élevé à Rome avec lui, et à qui d’abord il avait fait part de ce qu’il projetait. Ces trois Syriens étaient fils d’un Apollonius qui avait eu beaucoup de crédit sous Séleucus, et qui, après que le sceptre fut passé entre les mains d’Antiochus, s’était retiré à Milet. Ils furent les seuls à qui Démétrius s’ouvrit sur sa fuite, quoiqu’il eût un très-grand nombre de domestiques.

Le jour marqué pour le départ étant proche, le jeune prince invita ses amis à un grand souper dans une maison d’emprunt ; il ne pouvait les recevoir chez lui, et c’était sa coutume de régaler tous les soirs tous ceux qui s’étaient attachés à sa personne. Ceux qui étaient du secret étaient convenus qu’aussitôt après le souper ils partiraient pour Ostie, n’ayant chacun qu’un seul valet avec eux ; car ils avaient envoyé les autres à Anagnia, comme devant eux-mêmes s’y trouver le lendemain. Polybe alors était malade et obligé de garder le lit ; mais, averti de tout ce qui se passait par Ménylle, et craignant que le jeune prince, qui naturellement aimait les plaisirs de la table, ne s’y livrât avec trop peu de précaution, il lui écrivit un billet qu’il cacheta, et envoya sur le soir, avec ordre au porteur, de demander le maître d’hôtel du prince, de lui mettre le billet entre les mains, sans lui dire qui il était, ni de quelle part il venait, et de le prier de le faire lire incessamment à Démétrius. Cela fut ponctuellement exécuté. Démétrius ouvre le billet et lit : « Pendant que l’on diffère, la mort vient nous surprendre. On gagne plus à oser quelque chose. Osez donc, essayez, agissez, sans vous inquiéter du succès. Hasardez tout plutôt que de vous manquer à vous-même. Soyez sobre, ne vous fiez à personne ; ce sont les nerfs de la prudence. » Après avoir lu ce billet, Démétrius comprit de qui il venait, et à quelle intention il avait été écrit. Sur-le-champ il feignit un mal de cœur, et retourna en son logis. Ses amis l’y suivirent. Il donna ordre à ceux de sa maison qui ne devaient pas être du voyage, de partir sur l’heure avec des filets et sa meute pour Anagnia, et de le venir joindre à Circée, où il avait coutume de chasser, et où il avait eu occasion de faire connaissance avec Polybe. Il découvrit ensuite son dessein à Nicanor et à ceux de sa suite, et les exhorta à entrer dans son entreprise. Ils y consentirent avec joie, et, suivant ses ordres, retournèrent chez eux, et ordonnèrent à leurs domestiques de prendre au point du jour le chemin d’Anagnia, et de se rendre au rendez-vous de chasse à Circée, où ils devaient se trouver eux-mêmes le lendemain avec Démétrius. Ces ordres donnés, ils partirent dès la nuit même pour se rendre à Ostie.

Durant cet intervalle, Ménylle, qui était parti devant, avait déclaré au capitaine du vaisseau carthaginois qu’il avait reçu du roi son maître de nouveaux ordres qui le retiendraient encore quelque temps à Rome, et qui l’obligeaient d’envoyer à Ptolémée quelques jeunes hommes d’une fidélité éprouvée pour l’informer de ce que son frère faisait à Rome ; qu’il ne partirait donc pas, lui, mais que vers le milieu de la