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guerre des Gaules. — liv. i.

plus polie ; qu’Arioviste était devenu si insolent et si fier depuis la bataille qu’il avait gagnée sur les Gaulois à Magstat, qu’il voulait avoir en otage les enfans des meilleures maisons, et qu’il les traitait cruellement quand tout n’allait pas à sa fantaisie ; que c’était un homme féroce, emporté, furieux, dont la tyrannie était insupportable ; et que si Rome leur refusait son secours, ils seraient forcés de quitter le pays, comme avaient fait les Suisses, et d’aller loin des Allemands chercher ailleurs une demeure paisible, quelque chose qu’il leur en pût arriver ; que si ce tyran savait qu’ils fussent venus se plaindre à lui, il ferait périr leurs otages dans les tourmens, et qu’il n’y avait que son autorité, ses armes victorieuses et le nom du peuple romain qui pussent le tenir en respect, empêcher le reste des Allemands de passer le Rhin, et défendre les Gaules de la violence d’Arioviste.

32. Divitiacus ayant cessé de parler, tous ceux qui étaient présens implorèrent avec larmes le secours de César ; les seuls députés des Francs-Comtois, tristes, abattus, les yeux baissés, demeuraient dans le silence. César surpris leur en demanda plusieurs fois la cause, sans en pouvoir tirer de réponse, et sans voir diminuer leur accablement. Alors Divitiacus répondit pour eux, qu’ils étaient d’autant plus misérables qu’ils n’osaient pas même se plaindre, ni recourir à quelqu’un qui adoucit leurs maux ; qu’ils tremblaient au seul nom d’Arioviste présent ou absent ; qu’au moins les autres pouvaient se garantir de sa barbarie par la fuite ; mais qu’eux qui avaient reçu Arioviste, aujourd’hui maître de toutes leurs villes, ils se trouvaient en proie à tous ses mauvais traitemens.

33. César, ainsi instruit, les rassure tous et leur promet de faire attention à leurs demandes : il leur dit qu’il espérait qu’Arioviste, à la considération du peuple romain et à la sienne, les traiterait mieux à l’avenir ; après quoi il les congédia. Plusieurs raisons l’engageaient à penser sérieusement à cette affaire ; car d’abord il était honteux pour lui et pour le peuple romain que, dans le temps le plus florissant de la république, les Autunois, à qui le sénat avait donné par plusieurs décrets le titre de frères et d’alliés, fussent réduits en esclavage par les Allemands, et obligés de donner des otages à Arioviste et aux Francs-Comtois. D’ailleurs, il croyait que Rome avait intérêt d’empêcher les Allemands de s’établir dans les Gaules ; que lorsqu’ils en seraient maîtres, ces peuples féroces et barbares ne manqueraient pas de se jeter sur notre province et de là sur l’Italie, comme avaient fait les Cimbres et les Teutons ; d’autant plus que les Francs-Comtois n’étaient séparés de la province romaine que par le Rhône ; et il était persuadé qu’il fallait s’opposer de bonne heure à une pareille invasion. Ajoutez à cela qu’Arioviste s’était rendu insupportable par son orgueil et son insolence.

34. Sur ces considérations, César jugea à propos de lui envoyer demander une entrevue, pour traiter avec lui d’affaires importantes qui concernaient le bien commun. Arioviste répondit aux députés que, s’il avait besoin de Césr, il l’irait trouver, mais que, César voulant lui parler, c’était à lui de venir le chercher ; qu’outre cela il ne pouvait sans armée entrer sûrement sur les terres des Romains, et qu’une armée ne pouvait s’assembler sans beaucoup de dépense et d’embarras ; qu’au reste il ne comprenait pas ce que César et les Romains pouvaient avoir à démêler avec lui touchant ses conquêtes.