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César.

lui prescrire son devoir, et d’avoir mauvaise opinion de sa conduite ; qu’il avait pourvu aux vivres ; que les Francs-Comtois, les Lorrains et ceux de Langres lui en fourniraient, outre que la moisson était toute prête ; que bientôt ils jugeraient eux-mêmes si les chemins étaient si difficiles ; qu’à l’égard de la menace de n’être pas obéi lorsqu’il commanderait de marcher, il ne s’en inquiétait pas, parce qu’aucun général n’avait eu ce malheur qu’après la perte de quelque bataille, ou pour quelque tache d’avarice ; que pour lui son innocence, et le bonheur de ses armes contre les Suisses, étaient connus de toute l’armée ; qu’ainsi, quoiqu’il eût projeté de différer encore son départ, il était résolu de partir le lendemain avant le jour, afin de voir plus tôt si la crainte l’emporterait chez eux sur leur devoir ; que si personne ne voulait le suivre, il était assuré que la dixième légion ne l’abandonnerait pas, et qu’il en ferait sa cohorte prétorienne. C’était en effet celle qu’il affectionnait le plus, et sur la valeur de laquelle il faisait le plus de fond.

41. Ce discours fit un changement surprenant dans les esprits ; on vit renaître la joie parmi tous les soldats, et ils ne respiraient plus que la guerre. La dixième légion le fit remercier la première par ses officiers de la bonne opinion qu’il avait d’elle, et l’assura qu’elle le suivrait partout. Les autres lui font des excuses par l’entremise de leurs principaux officiers, l’assurent qu’elles n’ont jamais douté de son habileté, ni rien appréhendé sous son commandement ; qu’enfin elles étaient persuadées que c’était à elles à recevoir les ordres, et non pas à les donner. Après avoir reçu leur soumission, et s’être informé des chemins à Divitiacus, celui de tous les Gaulois en qui il se fiait le plus, il résolut, pour mener son armée par un pays découvert, de prendre un détour de douze ou treize lieues, et partit le lendemain avant le jour, comme il l’avait dit. Le septième jour, comme il continuait sa marche, il apprit par ses coureurs que les troupes d’Arioviste n’étaient plus qu’à vingt-quatre milles des nôtres.

42. Arioviste, informé de son arrivée, lui envoya dire qu’il acceptait l’entrevue, à présent qu’il s’était approché, et qu’elle pouvait se faire sans risque. César ne rejeta point son offre, croyant qu’il écoutait la raison, puisqu’il promettait de plein gré ce qu’il avait auparavant refusé ; et il se flattait qu’Arioviste, se rappelant ses bienfaits et ceux du peuple romain, deviendrait traitable quand il aurait réfléchi sur ses demandes. L’entrevue fut fixée à cinq jours de là. Cependant, par les courriers qu’ils s’envoyaient souvent de part et d’autre, Arioviste demanda que, de peur de surprise, ils ne se fissent accompagner que de la cavalerie, protestant qu’il ne viendrait qu’à cette condition. César qui ne voulait pas rompre pour un si mince sujet, et qui d’ailleurs ne se fiait pas trop à la cavalerie gauloise, fit monter sur leurs chevaux la dixième légion sur laquelle il comptait le plus, afin d’avoir un secours assuré en cas de besoin ; ce qui fit dire assez plaisamment à un soldat de cette légion, que César leur tenait plus qu’il ne leur avait promis, puisqu’au lieu de les faire prétoriens il les faisait chevaliers.

43. Il y avait une plaine spacieuse, et dans cette plaine un tertre assez élevé. Cet endroit se trouvait presque également éloigné des deux camps. On s’y rendit pour la conférence. César fit arrêter ses cavaliers à deux cents pas de ce tertre ; ceux d’Arioviste firent halte à la même distance. Arioviste demanda