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César.

leur est très-préjudiciable. On ne pouvait donc les assiéger ; car, lorsque après un pénible travail on avait élevé une terrasse à peu près à la hauteur des murailles, en retenant la mer par des digues, si les habitans se sentaient trop pressés, ils montaient sur leurs vaisseaux, qui étaient en grand nombre, et avec tout ce qu’ils avaient ils se transportaient dans la ville voisine, où ils trouvaient les mêmes moyens de se défendre. Ils exécutèrent cette manœuvre pendant la meilleure partie de la campagne, avec d’autant plus de facilité que notre flotte était retenue par les vents contraires, et que nous avions bien de la peine à naviguer sur cette grande et vaste mer, sujette à de hautes marées, n’ayant que peu ou point de ports pour nous mettre à l’abri.

13. Les ennemis avaient encore un autre avantage par la manière dont leurs vaisseaux étaient construits et équipés. Ces vaisseaux avaient le fond plus plat que les nôtres, et ils étaient, par conséquent, moins incommodés des bas-fonds et du reflux : la proue en était fort haute, et la poupe plus propre à résister aux vagues et aux tempêtes : tous construits de bois de chêne, et ainsi capables de soutenir le plus rude choc ; les poutres qui traversaient, d’un pied d’épaisseur, étaient attachées avec des clous de la grosseur du pouce : leurs ancres tenaient à des chaînes de fer, au lieu de cordes, et leurs voiles étaient de peaux molles et bien apprêtées, soit faute de lin, soit parce qu’ils ignoraient l’art de faire de la toile, soit, ce qui est plus vraisemblable, parce qu’ils ne croyaient pas que la toile pût résister aux agitations et aux vents impétueux de l’Océan, et faire mouvoir des vaisseaux aussi pesans que les leurs. Dans l’action contre ces vaisseaux, notre flotte ne les surpassait qu’en agilité et en vitesse : quant au reste, ils étaient plus propres que les nôtres pour les vastes mers et les tempêtes. Nous ne pouvions les maltraiter de l’éperon, tant ils étaient solides ; ni les attaquer facilement, à cause de leur hauteur ; pour les mêmes raisons ils craignaient moins les écueils : enfin ils ne redoutaient ni les vents ni les tempêtes ; ils étaient sans danger dans les bas-fonds, et ne craignaient dans le reflux ni les pointes ni les rochers : avantages que n’avaient point les nôtres.

14. Après la prise de plusieurs villes, César voyant ses efforts infructueux, et qu’il ne pouvait ni faire du mal aux ennemis, ni empêcher leur retraite, prit le parti d’attendre sa flotte. Dès qu’elle parut, et que l’ennemi la découvrit, environ deux cent vingt de leurs vaisseaux bien équipés et bien armés sortirent du port et se présentèrent en bataille devant elle. Brutus qui la conduisait, ainsi que les autres officiers qui commandaient sur chaque vaisseau, étaient fort embarrassés, et ne savaient comment s’y prendre : car ils n’ignoraient pas que la pointe de nos galères ne pouvait porter grand préjudice à leurs vaisseaux, et que la hauteur de leurs poupes surpassant celle des tours que l’on pouvait dresser sur les nôtres, nos javelots lancés d’en bas seraient sans effet, au lieu que les leurs lancés d’en haut feraient beaucoup de ravage. Mais nous nous étions pourvus d’un instrument qui nous rendit de grands services : c’était une espèce de faux tranchante, emmanchée au bout d’une longue perche, à peu près semblable à celle dont on se sert dans les siéges. Avec ces faux, on tirait à soi les cordages qui attachaient les vergues aux mâts, et on les coupait ; ensuite la vergue tombait de toute nécessité avec la voile ; et leurs vaisseaux devenaient