Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 4, 1846.djvu/1112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venons à la marche, sur laquelle je vois que tout le monde discute, se tourmente et se tue. Les uns veulent marcher lentement ; les autres veulent marcher vite. Mais qu’est-ce que des troupes que l’on ne saurait faire marcher vite et lentement, comme l’on veut, et selon qu’on en a besoin ; auxquelles il faut, à chaque coin, un officier pour les faire tourner, les uns comme des limaçons, et les autres en courant, pour faire avancer cette queue qui traîne toujours ? C’est un travail, une affaire, que de voir seulement un bataillon se mettre en mouvement ; on dirait une machine mal agencée, qui va rompre à tout moment, et qui ne s’ébranle qu’avec une peine infinie. Veut-on avancer promptement ? Avant que la queue sache que la tête marche vite, il se fera des intervalles ; et, pour les regagner, il faudra que la queue coure à toutes jambes ; une autre tête, qui suit cette queue, fera la même chose ; ce qui produit le désordre et ne permet pas de pouvoir jamais faire marcher les troupes avec célérité.

Le moyen de remédier à tous ces inconvéniens et à d’autres qui en résultent, qui sont d’une plus grande importance, est cependant bien simple, puisque la nature le dicte. Le dirai-je, ce grand mot, en quoi consiste tout le secret de l’art, et qui va sans doute paraître ridicule ? Faites-les marcher en cadence. Voilà tout le secret, et c’est le pas militaire des Romains. C’est pourquoi les marches sont instituées, et pourquoi on bat la caisse. C’est ce qu’on appelle tact, et c’est ce que personne ne sait, et dont personne ne s’avise. Avec cela, vous ferez marcher vite et lentement, comme vous voudrez votre queue ne traînera jamais ; tous vos soldats iront du même pied ; les conversions se feront ensemble, avec célérité et grâce ; les jambes de vos soldats ne se brouilleront pas ; vous ne serez pas obligé d’arrêter à chaque conversion, pour faire repartir du même pied, et vos soldats ne se fatigueront pas le quart de ce qu’ils sont à présent. Ceci va encore paraître extraordinaire. Il n’y a personne qui n’ait vu danser des gens pendant toute une nuit, en faisant des sauts et des haut-le-corps continuels. Que l’on prenne un homme, qu’on le fasse danser pendant deux heures seulement sans musique, et que l’on voie s’il y résistera. Cela prouve que les tons ont sur nous une secrète puissance, qui dispose nos organes aux exercices du corps, et les facilite.

Si quelqu’un me fait la question, et me demande quel air il faut jouer pour faire marcher un homme, je lui répondrai que toutes les marches, tous les airs à deux ou trois temps y sont propres, les uns plus, les autres moins, selon qu’ils sont marqués ; que tous ces airs se jouent sur le tambour, avec le fifre, et qu’il n’y a qu’à choisir les plus convenables.

L’on me dira peut-être que bien des hommes n’ont point d’oreille. Cela est faux ; ce mouvement est si naturel, qu’il se fait, pour ainsi dire, de soi-même. J’ai souvent remarqué qu’en battant au drapeau, tous les soldats allaient en cadence, sans intention et sans qu’ils le sussent : la nature, l’instinct, y portent d’eux-mêmes. Je dirai plus : il est impossible de faire aucune évolution sur un ordre serré sans le tact.

A considérer superficiellement ce que je viens de dire, il ne paraît pas que cette cadence soit d’une grande importance mais dans une action, pour augmenter la rapidité de la marche ou pour la diminuer, cela tire à des con-