Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 4, 1846.djvu/1113

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séquences infinies. Le pas militaire des Romains n’était autre chose : c’est avec ce pas qu’ils faisaient vingt-quatre milles, qui font huit lieues, chacune d’une heure de chemin, en cinq heures. Que l’on prenne à présent un corps d’infanterie, et que l’on voie s’il est possible de lui faire faire huit lieues en cinq heures. Cela faisait cependant, parmi eux, la principale partie de l’exercice. De là, on peut juger de l’attention qu’ils donnaient à tenir leurs troupes en haleine, et de la puissance du tact.

Que dira-t on, si je prouve qu’il est impossible de charger vigoureusement l’ennemi sans cette cadence, et que, sans cela, on arrive toujours sur lui à rangs ouverts ? Quel défaut monstrueux ! Je pense cependant que, depuis trois ou quatre siècles, personne n’y a fait attention.

Que deux bataillons, s’attaquant, marchent l’un à l’autre sans flottement sans se doubler, sans se rompre ; lequel emportera l’avantage, de celui qui s’est amusé à tirer, ou de celui qui n’aura pas tiré ? Les gens habiles me diront que c’est celui qui aura conservé son feu, et ils auront raison ; car outre que celui qui a tiré est décontenancé, s’il voit marcher à lui, à travers la fumée, des gens qui ont conservé leur feu, il faut qu’il s’arrête pour recharger, ou du moins qu’il marche bien lentement ; or il est perdu lorsque l’autre marche à lui d’un grand pas et avec célérité.

Si la dernière guerre avait duré encore quelque temps, l’on se serait battu indubitablement de part et d’autre à l’arme blanche, parce que l’on commençait à connaître l’abus de tirer ; car en tirant on fait plus de bruit que de mal, et on est toujours battu. Or, si on ne tirait plus, je crois que l’on changerait bien vite, et la méthode de se mettre trois ou quatre de hauteur sur un grand front, et les armes que l’on a à présent ; car à quoi servirait ce front lent et pesant à se mouvoir, contre des gens qui marcheraient avec plus de célérité, et qui se remueraient avec plus d’aisance ? Mais pour rendre ceci plus intelligible, il faut un peu mieux l’expliquer.

Supposons donc deux bataillons, chacun de six cents hommes, qui seraient disposés, l’un suivant l’usage, c’est-à-dire formant un front à quatre de hauteur et sans intervalles ; l’autre, suivant ma méthode, à huit de hauteur, avec des intervalles, au moyen desquels le mien occuperait le même front que celui qui est à quatre, et je pourrais même lui en faiie occuper un plus grand, ce que l’autre ne saurait faire. Pour le déborder, je n’ai qu’à donner un pas ou deux de plus à mes intervalles, et je demeure plus fort que lui. Je suis toujours à huit de profondeur contre des gens qui ne sont qu’à quatre ; je n’ai ni nettement ni doublement à craindre ; rien qui m’arrête : je ferai deux cents pas plus vite qu’il n’en fera cent. A l’arme blanche, je l’aurai percé dans un moment, et s’il tire, il est perdu. Que fera-t il ? Se rompra-t-il devant moi pour me prendre dans les flancs de mes divisions ? Il ne l’oserait ; mes intervalles sotit trop petits ; les armes de longueur s’y croisent ; il serait percé et en confusion, en faisant ce mouvement. S emettra-t-il à tirer ? Comme rien ne m’arrête plus en chemin, il en serait mauvais marchand.

C’est la pure méthode des Romains, et c’est aussi la meilleure reconnaissons-les pour nos maîtres, et imitons-les On me dira que les Romains n’avaient point de poudre : il est vrai ; mais ils avaient, ainsi que leurs enne-