Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 4, 1846.djvu/1143

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de la victoire, et surtout ne point se contenter d’avoir gagné un champ de bataille, comme on fait ordinairement.

On suit régulièrement les paroles d’un proverbe qui dit qu’il faut faire un pont d’or à l’ennemi. Cela est faux ; au contraire, il faut le pousser et le poursuivre à toute outrance toute cette retraite, qui parait si belle, se convertira bientôt en déroute. Dix mille hommes détachés détruiront une armée de cent mille qui fuit ; rien n’inspire tant la terreur et ne cause tant de dommage à l’ennemi, duquel on se défait souvent pour une bonne fois. Mais bien des généraux ne se soucient pas de finir la guerre sitôt.

Si je voulais citer des exemples pour appuyer ce que je viens de dire, j’en trouverais une infinité mais je me contenterai de rapporter celui-ci.

À la bataille de Ramilies, comme l’armée française se retirait en très-bon ordre sur un plateau assez étroit, bordé des deux côtés de profonds ravins, la cavalerie des alliés la suivait à petit pas, comme à un exercice et l’armée française marchait aussi fort doucement sur vingt lignes, et plus peut-être, parce que le terrain était étroit. Un escadron anglais s’approcha de deux bataillons français et se mit à tirailler ; ces deux bataillons, croyant qu’ils allaient être attaqués, firent volte-face et une décharge sur cet escadron. Qu’arriva-t-il ? Toutes les troupes françaises lâchèrent pied au bruit de ce feu ; la cavalerie s’enfuit à toutes jambes et toute l’infanterie se précipita dans les deux ravins avec une confusion horrible de façon que, dans un moment, le terrain fut libre et l’on ne vit plus personne.

Que l’on vienne me vanter, après cela, le bon ordre des retraites et la prudence de ceux qui font un pont d’or à l’ennemi, après qu’ils l’ont défait en bataille ; je dirai qu’ils servent mal leur maître. Je ne dis pas qu’il faille s’abandonner, avec toutes ses troupes, pour suivre l’ennemi. Mais il faut détacher des corps et leur ordonner de pousser, tant que le jour durera, en bon ordre. Car, lorsque l’ennemi fuit une fois, on le chasserait, avec des vessies.

Si le corps que vous envoyez se met à escadronner et à marcher avec précaution, c’est-à-dire qu’il fasse la manœuvre, ce n’est pas la peine de l’envoyer. Il faut qu’il attaque, pousse et poursuive sans cesse. Toutes les manœuvres sont bonnes alors, les sages seules ne valent rien.

Ainsi je ne parlerai pas ici de retraites dans un chapitre particulier et je finirai en disant qu’elles dépendent en tout de la capacité des généraux, des différentes circonstances et des situations. Au reste, il n’y a de belle retraite que lorsqu’elle se fait devant un ennemi qui agit mollement ; car s’il poursuit à toute outrance, elle se convertira bientôt en déroute.

FIN DES EXTRAITS DU MARÉCHAL DE SAXE.