Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 4, 1846.djvu/1142

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partie seule ; lorsqu’ils parviennent au commandement des armées, ils y sont tous neufs et faute de savoir faire ce qu’il faut, ils ne font que ce qu’ils savent.

L’une de ces parties est méthodique, je veux dire la discipline et la manière de combattre, et l’autre est sublime. Aussi ne faut-il point choisir pour celle-ci des hommes ordinaires pour l’administrer.

Si un homme n’est pas né avec les talens de la guerre et que ces talens ne soient pas perfectionnés, il ne sera jamais qu’un général médiocre. Il en est de même de tous les talens : il faut être né avec celui de la peinture pour être un excellent peintre, avec celui de la musique pour en composer de bonne, etc. Toutes les choses qui visent au sublime sont de même c’est pourquoi l’on voit si rarement des gens qui excellent dans une science, qu’il se passe des siècles sans en produire. L’application rectifie les idées, mais elle ne donne jamais l’âme ; c’est l’ouvrage de la nature.

J’ai vu de forts bons colonels devenir de très-mauvais généraux. J’en ai connu d’autres qui étaient grands preneurs de ville, excellens pour manœuvrer dans une armée, qui, à les ôter de là, n’étaient pas capables de mener mille chevaux à la guerre, à qui tête tournait totalement et qui ne savaient prendre aucun parti. Si un pareil homme vient à commander une armée, il cherchera à se sauver par les dispositions, parce qu’il n’aura point d’autre ressources. Pour les faire mieux comprendre, il embrouillera la tête à toute son armée à force d’écritures, La moindre circonstance changeant tout à la guerre, il voudra changer sa disposition, mettra tout dans une confusion horrible, et infailliblement il se fera battre.

On doit, une fois pour toutes, établir une manière de combattre que les troupes doivent savoir, ainsi que les généraux qui les mènent. Ce sont des règles générales : comme, qu’il faut garder ses distances dans la marche ; que, lorsqu’on charge, il faut le faire vigoureusement ; que s’il, se fait des trouées dans la première ligne, c’est à la seconde à les boucher. Il ne faut s point d’écritures pour cela, c’est l’A, B, C des troupes ; rien n’est si aisé, et le général ne doit pas y donner toute son attention, comme la plupart le font. Mais ce dont il doit bien s’occuper, c’est d’observer la contenance de l’ennemi, les mouvemens qu’il fait, où il porte des troupes de chercher à lui donner du soupçon dans un endroit pour lui faire faire quelque fausse démarche ; le déconcerter ; de profiter des momens, et de savoir porter le coup de la mort où il faut. Mais pour tout cela on doit se conserver le jugement libre, et n’être point occupé des petites choses.

Je ne suis cependant point pour les batailles, surtout au commencement d’une guerre, et je suis persuadé qu’un habile général pourrait la faire toute sa vie, sans s’y voir obligé ; rien ne réduit tant l’ennemi que cette méthode et n’avance plus les affaires. Il faut donner de fréquens combats et fondre, pour ainsi dire, l’ennemi petit à petit ; après quoi il est obligé de se cacher.

Je ne prétends point dire pour cela qu’on n’attaque pas l’ennemi quand on trouve l’occasion de l’écraser, et qu’on ne profite pas des fausses démarches qu’il peut faire ; mais je veux dire que l’on peut faire la guerre sans rien donner au hasard, et c’est le plus haut point de perfection et d’habileté d’un général. Mais, quand on fait tant que de donner bataille, il faut savoir tirer profit