Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

dormira plus désormais. Que les pierres, cimentées de haine, se pressent les unes contre les autres comme des poitrines d’hommes sur le champ de bataille. Le Versaillais a surpris sans défense, qu’il rencontre demain Saragosse et Moscou.

Tout passant est requis : « Allons, citoyen ! un coup de main pour la République. » À la Bastille et sur les boulevards intérieurs on trouve par places des fourmilières de travailleurs ; les uns creusent la terre, d’autres portent les pavés. Des enfants manient des pelles et des pioches aussi grandes qu’eux. Les femmes exhortent, supplient les hommes. La délicate main des jeunes filles lève le dur hoyau. Il tombe avec un bruit sec et fait jaillir l’étincelle. Il faut une heure pour entamer sérieusement le sol, on passera la nuit.

Place Blanche, écrivait Maroteau dans le Salut Public du lendemain, « il y a une barricade parfaitement construite et défendue par un bataillon de femmes, cent vingt environ. Au moment où j’arrive, une forme noire se détache de l’enfoncement d’une porte cochère. C’est une jeune fille au bonnet phrygien sur l’oreille, le chassepot à la main, la cartouchière aux reins : Halte-là, citoyen, on ne passe pas ! » Le mardi soir, à la barricade du square Saint-Jacques et du boulevard Sébastopol, plusieurs dames du quartier de la Halle travaillèrent longtemps à remplir de terre des sacs et des paniers d’osier.

Ce ne sont plus les redoutes traditionnelles, hautes de deux étages. La barricade improvisée dans les journées de Mai est de quelques pavés, à peine à hauteur d’homme. Derrière, quelquefois un canon ou une mitrailleuse. Au milieu, calé par deux pavés, le drapeau rouge couleur de vengeance. À vingt, derrière ces loques de remparts, ils arrêtèrent des régiments.

Si la moindre pensée d’ensemble dirigeait cet effort, si Montmartre et le Panthéon croisaient leurs feux, si elle rencontrait quelque explosion habilement ménagée, l’armée versaillaise vite tournerait le dos. Mais les fédérés sans direction, sans connaissance de la guerre, ne virent pas plus loin que leurs quartiers ou même que leurs rues. Au lieu de deux cents barricades stratégiques, solidaires, faciles à