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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

naises retombent en pluie d’étincelles sur les quartiers voisins.

Onze heures. — L’Hôtel-de-Ville. Les sentinelles poussées fort avant préviennent toute surprise. De loin en loin quelque gaz troue l’obscurité. À plusieurs barricades il y a des torches et des feux de bivouac. Celle du square Saint-Jacques, en face du boulevard de Sébastopol, consolidée d’arbres abattus dont le vent agite les branches, parle et se meut dans l’ombre redoutable.

La façade de la Maison commune blanchit des flammes lointaines. Les statues que les reflets déplacent s’émeuvent dans leur cadre. Les cours intérieures sont assourdies de tumultes. On évacue sur la mairie du XIe les charrettes, les omnibus chargés de munitions. Ils roulent à fracas sous les voûtes étroites. On apporte des blessés. La vie et la mort, le râle et le rire de lutte se frôlent dans les escaliers. Les couloirs inférieurs sont encombrés de gardes nationaux roulés dans leurs couvertures. Des blessés geignent et pleurent pour un peu d’eau ; des civières dressées le long des murs dégouttent de filets de sang. On apporte un commandant qui n’a plus face humaine ; une balle a troué la joue, enlevé les lèvres, fait sauter les dents. Incapable d’articuler un son, ce brave agite un drapeau rouge pour sommer ceux qui reposent d’aller le remplacer au combat.

Dans la chambre de Valentine Haussmann, Dombrowski est couché sur le lit de satin bleu. Une bougie laisse tomber sa demi-lueur sur l’héroïque soldat. Le visage d’une blancheur de neige est calme, le nez fin, la bouche délicate ; la petite barbe blonde se relève en pointe. Deux aides de camp, assis dans les coins obscurs, veillent silencieux. Un autre esquisse à la hâte les derniers traits de son général.

Le double escalier de marbre qui conduit aux appartements officiels est un va-et-vient de gardes nationaux. Les sentinelles préservent à peine le cabinet du délégué. Delescluze signe des ordres, blafard, muet comme un spectre. Les angoisses de ces derniers jours ont bu ce qui lui restait de vie. Sa voix n’est plus qu’un rauquement. Le regard et le cœur vivent seuls encore.