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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

versèrent les soldats et l’on en vit revenir des exécutions, tête basse. Les officiers bonapartistes ne mollirent pas dans leur férocité. Même après le dimanche, ils abattaient eux-mêmes des prisonniers ; le courage des victimes, ils l’appelaient « insolence, résolution d’en finir avec la vie plutôt que de vivre en travaillant. » L’inassouvissable cruel, c’est Prudhomme.

« Le sol est jonché de leurs cadavres, télégraphia M. Thiers à ses préfets ; ce spectacle affreux servira de leçon. » Il fallut malgré tout mettre un terme à cette leçon de choses. La peste, non la pitié, venait. Des myriades de mouches charbonneuses s’envolaient des cadavres décomposés. Les rues se couvraient d’oiseaux morts. L’Avenir libéral, louant les proclamations de Mac-Mahon, lui avait appliqué les paroles de Fléchier : « Il se cache, mais sa gloire le découvre. » La gloire du Turenne de 1871 se découvrait jusque dans la Seine marbrée par une longue traînée de sang qui passait sous la deuxième arche du pont des Tuileries. Les morts de la semaine sanglante se vengeaient, empestant les squares, les terrains vagues, les maisons en construction qui avaient servi de décharge aux abattoirs et aux cours prévotales. « Qui ne se rappelle, disait le Temps, s’il ne l’a vu, ne fussent que quelques minutes, le square, non, le charnier de la Tour Saint-Jacques. Du milieu de ces terres humides fraîchement remuées par la pioche, sortaient çà et là des têtes, des bras, des pieds et des mains. Des profils de cadavres s’apercevaient à fleur de terre, c’était hideux. Une odeur fade écœurante, sortait de ce jardin. Par instants, à certaines places, elle devenait fétide ». Au parc Monceaux, devant les Invalides, fermentés par la pluie et le soleil, les cadavres crevaient leur mince linceul de terre. Un très grand nombre restaient encore à l’air, uniquement saupoudrés de chlore ; au faubourg Saint-Antoine on en voyait des tas « comme des ordures », disait un journal de l’ordre ; à l’École polytechnique, ils couvraient cent mètres de long sur trois de haut ; à Passy, qui n’était pas un des grands centres d’exécution, il y en avait onze cents près du Trocadéro. Trois cents qui avaient été jetés dans les lacs des buttes Chaumont étaient remontés à la surface et, ballonnés, promenaient leurs effluves