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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Pour exciter les soldats, s’il en était besoin, la presse leur jeta des couronnes. « Quelle admirable attitude que celle de nos officiers et de nos soldats, disait le Figaro. Il n’est donné qu’au soldat français de se relever si vite et si bien. » — « Quel honneur ! s’écriait le Journal des Débats, notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable. »

Ainsi l’armée se vengeait de ses désastres sur Paris. Paris était un ennemi comme la Prusse, et d’autant moins à ménager que l’armée avait son prestige à reconquérir. Pour compléter la similitude, après la victoire il y eut un triomphe. Les Romains ne le décernaient jamais après les luttes civiles. M. Thiers fit parader les troupes dans une grande revue, sous l’œil des Prussiens auxquels il jetait les cadavres de Parisiens comme une revanche.

Quoi d’étonnant qu’avec de pareils chefs la fureur du soldat atteignît à une ivresse telle que la mort la soûlait encore. Le dimanche 28, le long de la mairie du XIe où étaient adossés des cadavres, nous vîmes un fusilier marin dévider de sa baïonnette les boyaux qui coulaient du ventre d’une femme ; des soldats, sur la poitrine des fédérés s’amusaient à mettre des écriteaux : assassin, voleur, ivrogne, et, dans leur bouche, enfonçaient des goulots de bouteilles.

Comment expliquer ces raffinements de sauvagerie ? Le rapport officiel de Mac-Mahon n’accuse que 877 morts versaillais depuis le 3 avril jusqu’au 28 mai. La fureur versaillaise n’avait donc pas l’excuse des représailles. Quand une poignée d’exaspérés, pour venger des milliers de leurs frères, fusillent soixante-trois otages[1] sur près de trois cents qu’ils ont entre les mains, la réaction se voile la face et proteste au nom de la justice. Que dira donc cette justice de ceux qui, méthodiquement, sans anxiété sur l’issue de la lutte, et surtout la lutte terminée, fusillèrent vingt mille personnes, dont les trois quarts au moins n’avaient pas combattu. Encore, quelques éclairs d’humanité tra-

  1. Quatre à Sainte-Pélagie, six à la Roquette, quarante-huit rue Haxo, quatre aux environs de la Petite Roquette.