Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
APPENDICE

avait fait raser peu de temps auparavant, était fort courte et déjà grisonnante.

« En entrant dans la ruelle où devait s’accomplir la funèbre sentence, le sentiment de la conservation lui rendit l’énergie qui semblait l’avoir abandonné. Il voulut s’enfuir, mais retenu par les soldats il entra dans une fureur horrible, criant : « À l’assassin ! » se tordant, saisissant ses exécuteurs à la gorge, les mordant, opposant, en un mot, une résistance désespérée.

« Les soldats commençaient à être embarrassés et quelque peu émus de cette horrible lutte, lorsque l’un d’eux, passant derrière, lui donna un si furieux coup de crosse dans les reins que le malheureux tomba avec un sourd gémissement.

« Sans doute la colonne vertébrale était brisée. On lui tira alors quelques coups de feu en plein corps et on le larda de coups de baïonnette ; comme il respirait encore, un des exécuteurs s’approcha et lui déchargea son chassepot dans l’oreille. Une partie du crâne sauta, son corps fut abandonné dans le ruisseau, en attendant qu’on vint le relever.

« C’est alors que les spectateurs de cette scène s’approchèrent, et, malgré les blessures qui le défiguraient, purent constater son identité. »

Maxime du Camp, fidèle à son système de démentis quand même, nia l’exécution de Vallès, prétendit qu’il était l’auteur de cette invention. « On a dit et on peut croire que le réfractaire a rédigé lui-même la relation détaillée de son exécution, et qu’il l’a fait déposer dans la boite du journal, qui l’a insérée sans autre vérification. »

« Eh bien ! non ! monsieur du Camp, on ne peut pas le croire, riposta Camille Pelletan[1], et voici pourquoi : c’est que le nom de la victime est connu. C’était M. Martin, qu’on a donné pour un étudiant en médecine. Peut-être en effet avait-il pris quelques inscriptions. Il avait quelque bien et vivait à son aise. En sortant de déjeuner, à la pension Laveur, où mangeaient parfois Courbet et M. Vallès lui-même, il avait été dénoncé, rue Saint-André-des-Arts, comme étant ce dernier ; il avait perdu la tête et s’était compromis par son trouble ; on l’avait conduit au Châtelet et de là à Saint-Germain-l’Auxerrois, où il est mort. Tous les détails nous ont été fournis par un de nos amis qui a été le sien, et qui les tenait de la mère et de la sœur du malheureux. »

  1. Le Rappel, 18 février 1879.