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APPENDICE

portés à Brest. Nous étions quarante empilés dans le wagon, jetés les uns sur les autres. C’était un fouillis de bras, de têtes et de jambes. Les bâches étaient soigneusement fermées autour de la cargaison de chair humaine, nous ne respirions que par les fentes et les interstices du bois. On avait jeté dans un coin un tas de biscuits en miettes ; mais jetés nous-mêmes sur ce tas, sans savoir ce que c’était, nous l’avions bientôt écrasé, réduit en poussière. Pendant vingt-quatre heures, pas d’autres vivres, pas de boisson ; à Lorient seulement, on nous donna un morceau de pain de la grosseur du poing. Mais, de tout le voyage, pendant trente et une heures, nul de nous ne put descendre et respirer. Les excréments des malades se mêlèrent à la boue de nos biscuits ; la folie s’empara de plusieurs d’entre nous : on se battait pour avoir un peu d’air, un peu de place ; plusieurs d’entre nous, hallucinés, furieux, étaient autant de bêtes fauves.

« 3o Quélern. Les marins du navire de transport avaient renvoyé nos sergents de ville avec insultes, ils nous avaient traité poliment, nous respirions l’air libre de la mer, la matinée était belle, la mer facile. Nous étions heureux et ravis de ce changement soudain. Un capitaine de gendarmerie, Chevreuil, nous reçoit à Quélern. C’est un troupier bête, grossier, capricieux, mais au fond pas trop méchant. Il menace beaucoup, mais ne fait pas grand mal. Les gardiens sont les pandores que l’on voit partout et des gardes-côtes et gardes-chiourmes, gens fort étonnés d’avoir à nous tenir, et fermant volontiers l’œil sur le règlement.

Mais ce n’était que la période d’installation. Arrive le directeur, M. Delaunay, de vous connu, l’ancien directeur de Beauvais. Fort poli, le monsieur, fort juste aussi, puisque la justice chez un maître geôlier est de ne point admettre de réclamations et de ne croire qu’à la parole de ses subordonnés s’exprimant suivant les formules réglementaires et dans l’ordre hiérarchique. Le fait est que nous fûmes livrés à la discrétion du gardien chef, un nommé Rousseaux, ancien geôlier d’une prison d’Alsace. En passant à Paris il avait été mené devant des membres de la Commune, il avait bégayé quelques phrases patriotiques et le mot d’Alsace avait levé toutes les difficultés. Versailles le paya en lui donnant les communeux à persécuter ; il remplit bien sa besogne, surtout lorsque la Commune fut tombée. Tant qu’elle resta debout, on nous maltraitait avec une certaine anxiété ; quelquefois