Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/124

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Quand ce genre d’inspiration saississait Chopin, son jeu prenait un caractère particulier, quelque fut du reste le genre de musique qu’il exécutait ; musique de danse ou musique rêveuse, mazoures ou nocturnes, préludes ou scherzos, valses ou tarentelles, études ou ballades. Il leur imprimait à toutes on ne sait quelle couleur sans nom, quelle apparence indéterminée, quelles pulsations tenant de la vibration, qui n’avaient presque plus rien de matériel et, comme les impondérables, semblaient agir sur l’être sans passer par les sens. Tantôt on croyait entendre les joyeux trépignemens de quelque péri amoureusement taquine ; tantôt, c’étaient des modulations veloutées et chatoyantes comme la robe d’une salamandre ; tantôt, ou saisissait des accens profondément découragés, comme si des âmes en peine ne trouvaint pas les charitables prières nécessaires à leur délivrance fmale. D’autres fois, il s’exhalait de ses doigts une désespérance si morne, si inconsolable, qu’on croyait voir revivre le Jacopo Foscari de Byron, contempler l’abattement suprême de celui qui, mourant d’amour pour sa patrie, préférait la mort à l’exil, ne pouvant supporter de quitter Venezia la bella.n)

1) Le Nocturne en mi mineur (œuvre 72), nous rend quelque chose des impressions subtiles, raffinées, alambiquées, que Chopin reproduisait avec une sorte de prédilection passionnée. Nous ne nous refusons pas le plaisir de faire connaître à celles qui les comprendront, les vers que ce morceau inspira à la belle C"e Cielecka, née Ct8e Bninska :

Kotysze z wolna, jakby Fais, morza,
Nôty dzwieczncmi, pelnemi uroku.