Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/131

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doute que les concerts fatiguaient moins la constitution physique de Chopin, qu’ils ne provoquaient son irritabilité de poète. Sa volontaire abnégation des bruyans succès cachait, à qui savait le discerner, un froissement intérieur. Ayant un sentiment très-distinct de sa supériorité native, (comme tous ceux qui ont su la cultiver au point de lui faire rendre cent pour cent), le pianiste polonais n’en recevait pas du dehors assez d’échos intelligens, pour gagner la tranquille certitude d’être réellement apprécié à toute sa valeur. Il avait vu d’assez près l’acclamation populaire pour connaître cette bête, parfois intuitive, parfois ingénuement et noblement passionnée, plus souvent fantasque, capricieuse, rétive, déraisonnable, ayant encore en elle du sauvage : sottement engouée, sottement encolérée, car elle s’engoue des verroteries qu’on lui jette et laisse passer inaperçus les plus nobles joyaux ; elle se fâche pour des bagatelles et se laisse enjôler par les plus fades flagorneries. Mais, chose étrange, Chopin qui la savait par cœur, en avait horreur et s’en faisait besoin. Il oubliait en elle le sauvage, pour regretter ses naïves émotions d’enfant, qui pleure, qui souffre, qui s’exalte de toute son âme, au récit de toutes les fictions, de toutes les souffrances et de toutes les extases !

Plus « ce délicat », cet épicurien du spiritualisme, perdait l’habitude de dompter et de braver le « grand public », et plus il lui en imposait. Pour rien au monde il n’eut voulu qu’une mauvaise étoile lui donne le dessous