Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en sa présence, dans un de ces combats singuliers où l’artiste, comme un valeureux combattant dans un tournoi, jette son défi et son gant à quiconque lui conteste la beauté et la primauté de sa dame ; c’est-à-dire, de son art ! Il se disait probablement, certes avec raison, que lui, vainqueur au dehors, n’aurait pu être ni plus aimé, ni plus goûté, qu’il ne Tétait déjà par le groupe spécial qui composait son « petit public ». Il se demandait peut-être, non à tort, hélas ! tant sont incertaines les humaines opinions, tant sont ondoyantes les humaines affections, si lui, vaincu au dehors, ne serait pas moins aimé, moins apprécié, par ses plus fervens admirateurs ? La Fontaine l’a bien dit : « les délicats sont malheureux ! »

Ayant ainsi conscience des exigences qu’entraînait la nature de son talent, il ne jouait que rarement pour tout le monde. Hormis quelques concerts de début, en 183I , dans lesquels il se fit entendre à Vienne et à Munich, il n’en donna plus que peu à Paris et à Londres et ne put guère voyager à cause de sa santé. Elle lui fit subir des crises quelquefois fort dangereuses, restant toujours débile, exigeant toujours de grandes précautions ; néanmoins, elle lui laissait de belles saisons de répit, de belles années d’un équilibre qui lui donnait une force relative. Elle ne lui eût point permis de se faire connaître dans toutes les cours et toutes les capitales d’Europe, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, en s’arrêtant aux villes d’université et aux cités manufacturières, comme un de ses amis dont le nom monosyllabique