Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/190

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Tout Paris se raconta un jour celle qu’il fit à un amphitryon mal avisé, lorsqu’après avoir quitté la salle à manger il lui montra un piano ouvert ! Ayant eu la bonhomie d’espérer et de promettre à ses convives, comme un rare dessert, quelque morceau exécuté par lui, il put s’apercevoir qu’en comptant sans son hôte on compte deux fois. Chopin refusa d’abord ; fatigué enfin par une insistance désagréablement indiscrète : « Ah ! monsieur », dit-il de sa voix la plus étouffée, comme pour mieux acérer sa parole, « je n’ai presque pas dîné ! » — Toutefois, ce genre d’esprit était chez lui plutôt une habilité acquise qu’un plaisir naturel. Il savait se servir du fleuret et de l’épée, parer et toucher ! Mais, quand il avait fait sauter l’arme de l’adversaire il se dégantait et jetait bas la visière, pour n’y plus songer.

Par une exclusion absolue de tout discours dont il eût été l’objet, par une discrétion jamais abandonnée sur ses propres sentimens, il réussit à toujours laisser après lui cette impression si chère au vulgaire distingué, d’une présence qui nous charme sans que nous ayons à redouter qu’elle apporte avec elle les charges de ses bénéfices, qu’elle fasse succéder aux épanchemens de ses gaietés entraînantes, les tristesses qu’imposent les confidences mélancoliques et les visages assombris, réactions inévitables dans les natures dont on peut dire : Ubi mel, Un fel. Quoique le monde ne puisse refuser une sorte de respect aux douleureux sentimens