Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/192

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ayant un soin trop jaloux du mystère de leur passion pour le trahir gratuitement.

Chopin savait noblement pardonner ; nul arrièregoût de rancune ne restait dans son cœur contre les personnes qui l’avaient froissé. Mais, comme ces froissemens pénétraient très-avant dans son âme, ils y fermentaient en vagues peines et en souffrances intérieures, si bien que longtemps après que leurs causes avaient été effacées de sa mémoire il en éprouvait encore les morsures secrètes. Malgré cela, à force de soumettre ses sentimens à ce qui lui semblait devoir étre pour étre bien, il arrivait jusqu’à savoir gré des services offerts par une amitié mieux intentionnée que bien instruite, qui contrariait sans s’en douter ses susceptibilités cachées. Ces torts de. la gaucherie sont cependant les plus malaisés à supporter aux natures nerveuses, condamnées à réprimer l’expression de leurs emportemens et amenées par là à une irritation sourde qui, ne portant jamais sur ses vrais motifs, tromperait fort pourtant ceux qui la prendraient pour une irritabilité sans motif. Comme pourtant, manquer à ce qui lui paraissait la plus belle ligne de conduite fut une tentation à laquelle Chopin n’eut pas à résister, car probablement elle ne se présenta jamais à lui, il se garda de déceler en face d’individualités plus vigoureuses et, par cela seul, plus brusques et plus tranchantes que la sienne, les crispations que lui faisaient éprouver leur contact et leur liaison.