Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/287

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paradis de Milton, celles d’une désespérance amoureuse sur le bûcher de Sofronie et d’Olinde, celles d’une farouche indignation sur les traits sombres de la Nuit à Florence !

Chopin ne compara point son mal à celui de ces grandshommes, tant la rare exceptionalité, le rare resplendissement de la source intellectuelle à laquelle il l’avait puisé, le lui faisait croire hors de toute comparaison. Têle-à-tête avec ce mal, il espérait assez le dominer pour l’empêcher de jeter ses reflets blafards, ses regards de spect re sans sépulture décente, sur les régions aériennes, fraîches, irisées comme les vapeurs matinales d’un beau printemps, où il avait coutume de se rencontrer avec sa muse. Cependant, tout résolu qu’il fut à ne chercher dans l’art que le pur idéal de ses premiers enthousiasmes, Chopin y mêla à son insu, les accens de douleurs qui n’y appartenaient point. Il tourmenta sa muse pour lui faire parler le langage des peines complexes, raffinées, stériles, se consumant elles-mêmes dans un lyrisme dramatique, élégiaque et tragique à la fois, que ses sujets et leur sentiment n’eussent point comporté naturellement.

Nous l’avons déjà dit : toutes les formes étranges qui ont si longtemps surpris les artistes dans ses dernières œuvres, détonnent dans l’ensemble général de son inspiration. Elles entremêlent aux murmures d’amour, aux chuchottemens des tendres inquiétudes, aux complaintes héroïques, aux hymnes d’allégresse, aux chants de triomphes, aux gémissemens des vaincus dignes d’un