Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/293

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dans son orbite par une idée exacte du bien et du mal, du permis et de l’impermis ! Sans doute, il est des sentimens qui courent sur l’ourlet de ce précipice qu’on nomme le Mal, avec assez d’empire sur eux-mêmes pour n’y pas tomber, alors même que le blanc festonnage de leur robe virginale se déchire à quelque ronce du bord et se laisse empoussiérer sur un chemin trop battu ! Le béant entonnoir du Mal a tant d’étages inférieurs, qu’on peut prétendre n’y être pas descendu, tant qu’on n’effleura que ses échancrures, sans perdre pied sur la route qui continue au grand soleil. Toutefois, ces téméraires excursions ne donnent, comme le disait Mm" de Staël, que des commencemens !

Pourquoi ? diront les cœurs jeunes que le vertige fascine de son ivresse énervante. — Pourquoi ? — Parce que, sitôt que l’âme a quitté les ornières et les sécurités que crée une vie de devoirs et de dévouement, d’amour dans le sacrifice et d’éspérances dans le ciel, pour aspirer les senteurs qui voltigent au-dessus du gouffre, pour se délecter dans les frissons allanguissans qu’elles répandent en tous les membres, pour se livrer, timide, mais altérée, aux rapides éblouissemens qu’ils donnent, les sentimens nés en ces parages ne sauraient avoir la force d’y vieillir. Ils ne peuvent plus vivre qu’en s’arrachant du sol, qu’en résistant aux attractions d’un aimant terrestre pour quitter la terre et planer audessus ! Etres insubstantiels, quand la vie réelle ne saurait offrir à ces sentimens les horizons calmes et