Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/235

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l’on se marie ou que l’on reste célibataire, on est toujours sûr de s’en repentir. »

Vous voyez, mon ami, que j’avais pris un excellent moyen pour jeter quelque gaieté dans un concert, ce plaisir si ennuyeux qu’il ressemble à un devoir ; d’ailleurs en ce pays des improvisations, et des improvisateurs, n’était-ce pas le cas de dire mon Anch’io ?

Je serais ingrat si je n’ajoutais ici que le public de Milan a été d’une bienveillance à mon égard qui à dépassé de beaucoup mon attente, et que les marques de satisfaction dont il a été prodigue auraient suffi à combler un amour-propre plus exigeant que le mien. Vous savez ce que je pense des succès en général, des miens en particulier. Je ne le nie pas, il y a je ne sais quel puissant enchantement, je ne sais quelle jouissance orgueilleuse et tendre tout à la fois, dans l’exercice d’une faculté qui appelle à nous la pensée et le cœur des autres hommes ; qui fait jaillir dans d’autres âmes des étincelles du feu dont la nôtre est consumée, des élans sympathiques qui l’entraînent irrésistiblement après nous vers les régions du beau, de l’idéal, vers Dieu. Parfois l’artiste étend, en imagination, cet effet produit sur quelques individus à la multitude ; il se sent roi de toutes les intelligences, il sent en lui une infiniment petite parcelle de la force créatrice ; car par des sons il crée des émotions, des sentiments, des pensées. C’est un rêve qui ennoblit son existence. Ce fut le mien aux jours de ma fer-